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De long en large allant, flânant. Enfin j’avise
Sur le bord de la route une superbe église,
Un pieux monument, qu’on me dit faire abri
Au toit où l’œil du saint à la clarté s’ouvrit.
La curiosité me poussant, j’y pénètre,
Et je ne tarde pas à voir et reconnaître,
Parmi les visiteurs de la sainte maison,
Mon compagnon de route en fervente oraison.
Il était à genoux et disait sa prière
D’un air si recueilli, de si grave manière,
Que j’eus vraiment plaisir à contempler un peu
Ce vieillard élevant son humble cœur à Dieu.
Bientôt le voiturin au coche nous rappelle.
Nous remontons, et l’on galope de plus belle.
Retrouvant près de moi l’honnête campagnard
Et ne lui voyant plus dans l’œil aucun brouillard,
Pour mieux passer le temps, avec lui je m’abouche,
Et m’enquiers de sa vie et de ce qui le touche.
Il me dit qu’il est fils des monts de Norcia,
Paysan ombrien, et qu’à Livourne il va
Pour langueyer des porcs ; telle est son industrie.
Chaque an, à pareil jour, il quitte sa patrie
Et descend en Toscane exercer son métier.
Là, plus d’un laboureur, plus d’un riche fermier
Lui donne de l’ouvrage, et l’argent qu’il en tire,
Cent écus à peu près, qu’il met en tire-lire
Et rapporte au pays, tout le reste du temps
À vivre lui suffit. Bref, depuis quarante ans
Il n’a jamais manqué de faire son voyage.
Les révolutions au désastreux orage,
Les guerres ont eu beau passer sur son chemin,
Elles n’ont entravé ni ses pieds ni sa main.
Pourtant, quand viendra l’heure où, n’y voyant plus goutte
Et n’étant plus de force à se remettre en route,
Il faudra s’arrêter, il laissera sa part
De travail à son fils, qui, fort habile en l’art
Qu’il exerce, prendra pour lui sa clientèle
Et fera subsister sa vieillesse mortelle
Jusqu’au jour où du monde il se retirera
Non troppo s’contento della sua vita.
Cette dernière phrase à mes oreilles sonne
D’une façon étrange, imprévue, et m’étonne.
J’invite le bonhomme à me la répéter.