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rangue pleine de verve a porté le dernier coup au bill patronné par les libéraux avancés. Cette discussion a présenté plusieurs traits curieux. D’abord toute la chaleur, tout l’entrain, toute la force oratoire, ont été du côté des adversaires de la réforme à un coup, combattue par eux comme une tentative essayée pour faire tomber la constitution anglaise en pleine démocratie. La fraction radicale du parti libéral a été comme étonnée et déconcertée de cet assaut inattendu ; son grand orateur, M. Bright, était, dit-on, indisposé ; c’est à peine si un de ses membres les plus remarqués, M. Forster, a pu, en se tenant sur la défensive, faire bonne contenance. La lutte était engagée entre deux fractions du parti libéral, qui est en même temps le parti ministériel, entre les libéraux avancés et les libéraux orthodoxes ; mais quel rôle jouait le ministère dans cette guerre civile ? Hélas ! Les mêmes divisions latentes existaient dans son sein. Personne n’ignore que lord Palmerston ne porte aucun intérêt à la réforme électorale ; sa répugnance bien connue pour les projets de réforme est même la principale cause de la popularité dont il jouit parmi les électeurs ruraux d’Angleterre. Quant à M. Gladstone, il a fait l’an dernier une profession de foi qui le place, en matière de réforme électorale, aux rangs les plus extrêmes du radicalisme. Il n’a pas craint de s’appuyer sur un de ces principes abstraits qui sont si antipathiques à l’esprit anglais ; il a osé déclarer que le droit d’élire et d’être représenté appartient naturellement à tout homme qui n’est point frappé d’une incapacité morale ; il a soutenu que c’est à ceux qui refusent l’admission des classes ouvrières au droit électoral qu’incombe la tâche de prouver, l’onus, probandi, que ces classes ne sont point aptes à exercer un tel droit ; il s’est montré ainsi, selon les violens reproches de ses adversaire, partisan du suffrage attribué à tout homme arrivé à sa majorité, partisan du manhood franchise, du suffrage universel, de la doctrine des droit de l’homme. La situation d’un ministère ainsi divisé par le profond dissentiment de ses deux membres les plus considérables en présence de l’ardente lutte qui éclatait à ses yeux parmi ses amis était une scène de tragi-comédie. Lord Palmerston ne pouvait point prendre la parole sans s’exposer à contraindre M. Gladstone à donner une seconde fois à ses opinions une expression retentissante ; M. Gladstone ne pouvait ouvrir la bouche sans s’exposer à mettre le parti ministériel en déroute et le cabinet en pièces. La goutte a fourni à lord Palmerston un motif non-seulement de silence, mais d’absence ; quant à M. Gladstone, il a subi passivement, en se mordant les lèvres, les provocations acérées dont l’accablaient lord Elcho, M. Lowe, M. Bernai Osborne, M. Horsman. Le ministre qui a été chargé de prendre la parole au nom du cabinet discordant a été sir George Grey ; mais l’honorable ministre de l’intérieur a succombé à la difficulté de sa tâche. Sir George Grey avait à expliquer comment le ministère, après avoir renversé ses prédécesseurs pour n’avoir point donné une réforme suffisante, après être arrivé au pouvoir avec le mandat de remanier et d’étendre plus largement le droit électoral, avait laissé enterrer son