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L’armée ottomane a été définitivement organisée à l’européenne en 1842. Le recrutement s’opère par le tirage au sort des jeunes gens âgés de vingt ans et par l’enrôlement volontaire. Le hatti-humayoun de 1856 disait (article 14) : « L’égalité des impôts entraînant l’égalité des charges comme celle des droits, les sujets chrétiens et des autres rites devront, aussi bien que les musulmans, être soumis au service militaire. » Cette disposition n’a pas été appliquée. Les chrétiens manifestent encore les plus vives répugnances à servir dans les rangs de l’armée de terre, et plutôt que de subir la loi du recrutement, ils préfèrent continuer à payer l’impôt de la capitation. Il faut pourtant le reconnaître, du moment où l’égalité des races deviendrait dans l’empire ottoman une vérité pratique, il serait bien difficile que les chrétiens n’entrassent pas dans l’armée, où leur présence serait un élément de fusion. Tant que la carrière des armes, leur sera fermée, ils ne pourront guère être traités sur le même pied que les musulmans, seuls chargés de défendre le sol ; mais le jour où Turcs et raïas seraient enrôlés sous les mêmes drapeaux avec des conditions égales de paie et d’avancement, ce jour-là les privilèges de la race conquérante seraient bien près de disparaître.

La marine militaire ottomane, détruite en partie à Sinope au début de la guerre d’Orient, reprend aujourd’hui de l’importance. Les arsenaux de Tersané et d’Ismid retrouvent une certaine activité. Les forêts de la Thessalie, de l’Épire et de l’Asie-Mineure contiennent en abondance des bois de chêne. La Bulgarie et la Valachie fournissent des bois de mature. On trouve des chanvres, des cordages, de la houille sur les rives de la Mer-Noire. La conscription maritime pourrait donner trente mille matelots musulmans, et depuis 1847 des marins appartenant à la religion grecque servent dans les équipages de la flotte ottomane. Ce qui manque à la marine turque, c’est un personnel indigène de mécaniciens et d’ingénieurs ; ses progrès n’en sont pas moins réels, et elle tient un rang honorable parmi les marines secondaires de l’Europe.

Ce n’est pas sous le rapport militaire que la Turquie est faible. Le danger pour elle est dans les vices de l’administration. Au moment de la conspiration de 1859, le sultan Abdul-Medjid, ouvrant les yeux sur l’étendue et sur la gravité du mal, l’avait reconnu dans des termes empreints d’une noble franchise. Il avait fait lire à la Porte un hatti-humayoun rédigé, dit-on, par lui-même, et où il s’exprimait ainsi : « Comme ce n’est que par l’adoption de mesures énergiques que nous pouvons nous tirer de l’abîme où nous sommes et sauver encore la foi et l’empire, il faut abandonner ou transformer les habitudes, les actes qui occasionnent toutes ces dépenses ; il faut réorganiser, avec l’aide de Dieu, l’administration générale du pays sur des bases propres à lui rendre la confiance du monde. » Le gouvernement turc a d’ailleurs entre les mains tous les élémens de la richesse. Le sol est d’une fertilité extraordinaire. La nature a doté la Turquie de cours d’eau et de ports qui, avec un peu d’entretien, rendraient l’écoulement des produits aussi facile que rapide. Le passé n’a pas légué au présent une situation onéreuse, puisqu’avant la guerre de Crimée il n’y avait pas de dette publique., Les emprunts motivés par cette guerre ont été contractés à des conditions avantageuses, grâce à la double garantie de l’Angleterre