Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/587

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cence barbare, au son des tambours, des cymbales et des fanfares, qui ne cessaient ni jour ni nuit. » Aux régimens réguliers d’Europe et d’Asie, sous les pachas d’Alep, de Roumélie, de Diarbekir, de Morée, de Bosnie, aux janissaires et aux spahis, aux milices des frontières, se joignaient les auxiliaires des principautés tributaires de la Turquie. On voyait les Moldaves, les Valaques sous leur prince Gregorio Ghika ; Bekos-Behi commandait les Albanais. Le Transylvain Michel Apáfy, contraint de porter les armes contre l’empereur, était venu se joindre aux combattans. On voyait aussi parmi eux le fils du grand-khan de Tartarie avec les hordes de ses redoutables cavaliers. Enfin le grand-vizir se mit lui-même en marche à la suite de l’armée avec la pompe d’un triomphateur, entouré de ses grands-officiers, des cavaliers de sa garde et de jeunes pages (icoglans) vêtus de velours écarlate, qui conduisaient à la main des chevaux dont la selle étincelait de pierreries. La force effective de ces troupes[1] ne dépassait pas 130,000 combattans ; mais, grâce à l’immense quantité de serviteurs, de chameaux, chevaux et mulets, que l’armée turque traînait à sa suite, les populations la croyaient innombrable aussi bien qu’invincible. Elle s’avança lentement, remontant sur la rive gauche du Danube jusqu’à Bude. Sa jonction était ainsi opérée avec les troupes établies déjà dans cette place sous les ordres du vieux et brave Hussein-Pacha. On donna quelque repos aux troupes, on mit dans les cachots de la forteresse les négociateurs impériaux, et l’on concerta un plan général de campagne. Selon les rapports des Tartares envoyés dans les diverses directions, on devait préparer l’attaque contre l’une des trois places fortes qui couvraient l’Autriche, Raab, Komorn ou Neuhausel.

A la première nouvelle de l’entrée des Turcs en Hongrie, Montecuculli, abandonné à lui-même et chargé de couvrir avec quelques milliers d’hommes l’étendue de la ligne menacée par l’ennemi, avait fait tout ce que peut faire un homme de cœur et de tête placé par la négligence coupable de son souverain dans une situation à peu près désespérée. Il s’était concerté avec le comte Forgats, commandant de la cavalerie hongroise, et Zriny, le nouveau ban de Croatie. On convint à la hâte que ce dernier resterait dans ses possessions et se défendrait comme il pourrait. Forgats se chargea de garder, avec les milices du pays, les passages de la Haute-Hongrie ; il devait, s’il était forcé, se réfugier dans Neu-

  1. Dénombrement de l’armée turque : 12,000 janissaires, — 35,000 Asiatiques, — 25,000 Européens, — 18,000 Hongrois du pachalik de Temeswar, — 15,000 Moldaves et Valaques, — 10,000 Tartares, — 5,000 Transylvains, en tout 128,000 soldats, plus 30,000 serviteurs, 200 pièces de canon, 20,000 chameaux, 10,000 mulets, etc. (Gualdo Priorato, Katona Historia regum Bugariœ).