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valoir cette voix d’un comte d’Alsace derrière lequel se trouvait toute la puissance de la France. Ce n’était pas assez. Louis XIV venait de conclure avec les petits princes allemands une nouvelle confédération, la ligue du Rhin, dont il était le chef avoué. N’oublions pas qu’au moment de l’élection de l’empereur l’ambassadeur de France à Francfort, le maréchal de Grammont, avait tout fait pour empêcher l’élection de Léopold. Enfin, quand l’élection était devenue probable, on n’avait rien négligé pour réduire le pouvoir du nouvel empereur et imposer à son autorité des conditions humiliantes. Ainsi devait se perpétuer, sous ce titre pompeux d’empereur, la faiblesse du jeune héritier de la maison d’Autriche.

Implorer les secours d’un adversaire toujours acharné à sa ruine, quelle humiliation pour Léopold ! Cette humiliation même servirait-elle ? N’y avait-il pas aussi un danger sérieux à faire pénétrer les Français dans les états héréditaires, à les mettre en contact avec les Hongrois toujours mécontens ou rebelles, à les rapprocher des Turcs, leurs alliés depuis François Ier ? Certes il y avait là de quoi faire hésiter une politique moins circonspecte que celle de la cour de Vienne. L’empereur passa par-dessus ces considérations, qui frappaient bien plus l’esprit des contemporains qu’on ne saurait le comprendre aujourd’hui ; il ne se laissa point arrêter par la vaine crainte de diminuer aux yeux de ses peuples et des autres souverains de l’Europe le prestige de sa dignité. Le comte Strozzi, d’une des grandes familles de Florence, fut envoyé comme ambassadeur à la cour de Versailles. Il portait les lettres de l’empereur pour le roi. On y faisait appel à sa générosité et à son zèle pour la religion.

Tandis que les ambassadeurs de Léopold allaient solliciter les secours des princes étrangers, ce souverain lui-même, sortant de sa langueur habituelle, prenait le parti de se rendre à Ratisbonne. Il pensait avec raison que cette démarche solennelle aurait de l’influence sur les délibérations de la diète et ferait cesser ses éternelles lenteurs. Le moment était favorable. Les électeurs, qui s’étaient peu inquiétés de la guerre avec les Turcs tant qu’il ne s’agissait que de la lointaine Transylvanie, ne contemplaient pas avec le même sang-froid cette armée formidable déjà établie près des frontières de la Moravie et de la Bohême. L’accueil fait à Léopold se ressentit de ces nouvelles dispositions ; on le reçut, avec des honneurs inusités : les hommes de guerre les plus renommés, le margrave de Bade, le comte Fugger, le comte Ulrich de Wurtemberg, vinrent lui offrir leur épée. Tous convenaient qu’il fallait armer sans retard les contingens des cercles, et que la guerre qui menaçait l’Allemagne entière devait être soutenue par toutes les forces de l’empire.

Il eût été trop contraire cependant aux habitudes invétérées de