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respira, la diète arma enfin ses contingens, et les Français eurent le temps de se porter sur le théâtre de la guerre.


IV

C’est au mois de janvier 1664 que l’envoyé de Léopold arrivait à la cour de France. Elle était livrée tout entière à ces brillans plaisirs par lesquels Louis XIV inaugurait son règne. Le comte Strozzi avait laissé l’empereur et sa cour dans la désolation ; il retrouvait ici un jeune roi dans tout l’éclat de sa gloire naissante, armé d’un pouvoir qui ne rencontrait plus de résistance, pas même de limites. Ces fêtes et ces plaisirs n’absorbaient pas d’ailleurs son esprit, déjà profond et pénétrant ; la mission de l’envoyé impérial ne le prenait point au dépourvu. Une diplomatie active et corruptrice ne lui laissait rien ignorer de ce qui se passait dans les cabinets étrangers[1].

Louis XIV reçut le comte Strozzi avec de grands honneurs. Rien ne pouvait mieux servir les desseins de l’ambition déjà éveillée dans son cœur. Imprimer au monde par quelque action éclatante le respect de son nom et des armes françaises, témoigner contre les ennemis de la religion chrétienne de son zèle pour la foi, c’était beaucoup. Il y avait plus : l’âme du jeune roi goûtait avec une joie qu’il cachait à peine le plaisir superbe de venir en aide à un ennemi vaincu et suppliant. Prévenant les explications que Strozzi était chargé de lui donner, il déclara qu’il était tout prêt à prendre part à cette guerre sainte, non pas seulement avec le contingent limité que devait fournir le comte d’Alsace, mais comme roi de France, à la tête de ses armées. Ce n’était point là ce qu’avait voulu l’empereur ; un tel auxiliaire ne l’eût guère moins effrayé que l’ennemi. Strozzi ne demandait et n’accepta qu’un secours proportionné au nombre de troupes que son maître pouvait lui-même fournir, et le corps français dut être réduit à quatre régimens d’infanterie et dix escadrons de cavalerie. Forcé de diminuer ainsi le nombre de ses troupes régulières, Louis XIV ne laissa pas que d’éluder les intentions de l’empereur en permettant à tous les courtisans de suivre la campagne comme volontaires ; il parlait publiquement de l’expédition de Hongrie de façon à bien montrer l’importance qu’il y attachait, disant « qu’on lui ferait aussi bien la cour en Hongrie qu’au Louvre, et que, si le dauphin son fils avait seulement dix ans, il l’enverrait à cette guerre ; puis il ajoutait encore que si Dieu affli-

  1. « On savait tout de Vienne ; il y avait des traîtres dans le conseil de l’empereur ; ce qui s’y décidait était si peu secret pour nous, que Montecuculli n’avait pas craint d’écrire à l’empereur qu’il était indifférent qu’on lui envoyât des courriers ou qu’on les dépêchât à Paris. » (Mémoires de La Fare, t. Ier, p. 156.)