Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’influence des Aryas du sud-est les y avait précédées. Ceux-ci en effet franchirent de bonne heure l’Indou-Kô par la seule porte qui donne entrée dans l’Inde, s’établirent sur le Sindhu (l’Indus) et sur ses affluens, poussèrent vers l’est entre l’Himalaya et le désert de Marwar et descendirent le Gange, où se développa au milieu d’eux la civilisation brahmanique ; puis, dans une expédition dont toute la péninsule garde encore le souvenir, ils conquirent le pays du sud et la grande île de Ceylan, colonisant de là les archipels du Grand-Océan et les rivages de l’Afrique. C’est du centre de l’Inde gangétique que partit le bouddhisme. Ses missionnaires se répandirent dans toutes les directions, civilisèrent le Tibet, convertirent la Chine et les pays au-delà du Gange ; ils eurent longtemps à Samarcande un centre d’où ils se rendaient, soit dans l’extrême nord de l’Europe, soit, par le nord de la Chine et les îles Aléoutiennes, dans l’Amérique septentrionale et le Mexique, où nous explorons aujourd’hui leurs monumens.

Ainsi à l’est et à l’ouest nous rencontrons des hommes qui furent autrefois nos frères, ou du moins nous retrouvons leur empreinte sur le sol et dans les croyances des peuples. Notre époque assiste à cette scène dramatique de reconnaissance, où c’est nous seuls qui pouvons apporter la lumière et la présenter à des peuples qui ne nous ont pas encore reconnus. C’est à l’Angleterre surtout qu’échoit aujourd’hui ce rôle ; les faits quotidiens prouvent que le vice-roi des Indes, sir John Lawrence, en est pénétré au même degré que les savans européens. Il serait impossible en effet de fonder dans cette vaste contrée un empire durable, si l’inimitié des races, à tort ou à raison, continuait d’opposer une barrière au rapprochement des idées et à l’unification des besoins et des mœurs. Tant que l’Europe n’a pas connu la commune origine des Aryas indiens et de ses propres habitans, elle a cherché sa voie et n’a pu s’établir dans cette contrée que par la force des armes. On a tort de croire que, si la France avait conservé les territoires qu’elle y possédait, elle eût pu s’y maintenir par d’autres moyens que les Anglais, car ou elle n’y eût jamais eu que des comptoirs sur les rivages, ou bien elle n’eût pénétré dans l’intérieur que par la conquête ; or ce procédé peut être appliqué avec plus ou moins d’humanité, mais il ne porte presque jamais le caractère de la justice, et il transforme en ennemis les peuples vaincus.

Quand les navigateurs du XVIe siècle abordèrent aux rivages de l’Inde, ils ne virent pour ainsi dire pas les hommes de race aryenne. Quelques milliers de Perses connus sous le nom de Guèbres, et qui habitaient la côte occidentale, ne formaient alors comme aujourd’hui dans la population des Indes qu’une minorité imperceptible.