Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/634

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment, moins hostiles à l’égard des conquérans, elles auront néanmoins beaucoup de raisons de ne pas se mêler à eux. Les musulmans seront séparés d’eux par la religion et par les préjugés, les Hindous par la religion et par le système des castes.

Les Français qui ont visité l’Inde voient dans ceux que l’on appelle les half-casts un point d’appui solide pour l’action européenne et le point de départ d’une transformation radicale de la société anglo-indienne. Les half-casts ou hommes de demi-caste sont les individus nés d’un Anglais et d’une femme indienne de caste supérieure. On fait d’eux un grand éloge ; non-seulement leurs qualités physiques sont remarquables, mais leur intelligence et leurs aptitudes morales, qui tiennent des deux races dont ils sont issus, les rendent propres aux études les plus élevées et à tous les services de la vie publique. Cela n’a rien de surprenant, puisque si le père appartient à la pure race aryenne, comme cela généralement a lieu en Angleterre, la mère étant aussi de pur sang aryen, les enfans doivent être considérés comme faisant partie de ce qu’il y a de plus élevé dans l’humanité ; si le père est d’une race moins pure, le sang des filles de brahmanes ou de xattriyas l’améliore, et peut donner lieu à des descendans originellement supérieurs aux pères. L’Européen qui épouse une négresse ou seulement une femme mulâtre dégrade sa race et fait déchoir sa postérité ; mais dans l’Inde, par son union avec les femmes des castes élevées, il la conserve ou il l’améliore. Des hommes de demi-caste ont paru dans la dernière insurrection et depuis lors dans la vie civile, soit à Calcutta, soit dans d’autres villes de l’Indoustan : nous savons les noms de plusieurs d’entre eux ; mais la désignation même de half-cast, qui n’a pas d’analogue dans la langue ancienne ou moderne de l’Inde, indique qu’ils n’appartiennent ni à la société anglaise, où les castes n’existent pas, ni à la société brahmanique, dans la constitution de laquelle aucune place ne leur a été réservée. Aussi dans le temps où nous vivons sont-ils repoussés par celle-ci et accueillis avec défiance par Celle-là. Il faut ajouter que l’état d’infériorité où est la société indienne dans ce qui constitue pour nous la civilisation fait que les Européens ont une sorte de dédain pour les indigènes et voient les half-casts presque du même œil dont ils regardent en Amérique les hommes de demi-sang. À ce préjugé, que les hommes de science déplorent, les Indiens nobles en opposent un autre : les Anglais sont à leurs yeux des étrangers dont ils ne connaissent pas l’origine aryenne, et que, pour leur manière de vivre, ils assimilent aux races inférieures, abaissées au-dessous d’eux depuis trois ou quatre mille ans. Quand une brâhmanie épouse un Européen, elle ne conserve pas la moitié de sa caste, comme le mot anglais pourrait le faire croire ; elle la perd entièrement et devient un objet de mépris