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gère au développement du génie grec, l’une des sources de notre civilisation, ni à la formation du christianisme, religion de tout l’Occident. Quant au bouddhisme, tout le monde sait combien il a amélioré les nations orientales chez lesquelles il a pénétré. Tout ce développement de la pensée indienne procède des Aryas ; sa place dans la civilisation du monde a été et se trouve encore si considérable qu’il faut voir en eux une des branches les plus fécondes de l’humanité. Or il est visible que rien de ce qu’ils ont produit n’eût pu naître sans le système des castes, qui les a sauvés.

Il est contestable que la suppression immédiate de ce système fût avantageuse, en supposant qu’elle fût possible. Aucun des conquérans de l’Inde ne l’a amoindri : le mahométisme, qui lui est naturellement hostile, non-seulement ne l’a pas fait disparaître, mais il s’est assis à côté de lui, de telle sorte que, sur les cent soixante millions d’hommes qui habitent la contrée, seize millions vivent sans caste au milieu de cent quarante autres millions presque tous soumis à ce régime. Étrangers les uns aux autres, ils ne se réunissent pas à moins de se sentir attaqués sur un terrain commun : ainsi les cartouches de fabrication anglaise blessèrent à la fois la religion des Hindous et le préjugé sémitique des musulmans. Sans que rien fût changé à l’état présent des choses, les Européens pourraient vivre en paix avec les Hindous aussi bien et mieux que les musulmans. La tentative prématurée des anglicans exaltés n’est d’ailleurs que la reproduction en petit de ce que le bouddhisme avait essayé en grand avec une connaissance profonde des besoins du pays et dans des circonstances propices. Le sort des populations infimes devait être amélioré par lui, leurs castes supprimées, sinon de fait, du moins moralement, et le sacerdoce mis entre leurs mains au même titre qu’entre les mains des brahmanes. Cela se passait au temps de la plus haute civilisation indienne. La réforme eut un succès passager ; mais, avant qu’elle fût accomplie, bouddhisme et bouddhistes furent chassés de l’Inde et n’y revinrent plus. Si la lutte des Anglais contre les castes devenait générale, officielle et directe, le sort du bouddhisme attendrait la domination anglaise, et nulle force humaine ne pourrait empêcher ce résultat : l’ébranlement d’une foule qui se porte dans une direction commune est irrésistible lors même qu’elle n’a pas de chefs pour la conduire, car alors le chef, c’est l’idée. Aussi le gouvernement britannique paraît-il avoir renoncé à toute tentative immédiate contre le système social des Indiens, et se croit-il mal servi par les particuliers ou les sociétés de propagande qui l’attaquent directement. La grande liberté dont on jouit en Angleterre ne permet pas d’empêcher ces tentatives, qu’autorise d’ailleurs le prosélytisme anglican d’un grand nombre de personnes et de sociétés. Il n’en est pas moins reconnu que leurs ef-