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répandue : il n’en est rien. L’état fait quelque chose pour la propager : de riches et généreux particuliers fondent même des chaires, comme l’a fait récemment M. J. Muir à Edimbourg, quelques érudits entourent les professeurs ; mais le public du royaume-uni, qui devrait s’intéresser aux choses de l’Inde, ne fût-ce que pour son commerce, ne vient guère entendre leurs leçons. Cette langue et ses livres sont à peu près inconnus des prêcheurs anglais, persuadés que c’est là une connaissance superflue et que la Bible suffit à tout. Or je suppose que l’on ne tienne pas compte de la religion musulmane sous prétexte qu’elle n’appartient qu’à la minorité ; il faudrait au moins se bien rendre compte, avant de parler et d’agir, de ce que pensent en matière de religion les hommes de l’Inde centrale, qui sont Aryas et suivent le brahmanisme, — ceux du sud, qui suivent la même doctrine, mais qui ne sont pas Aryas et ne prennent guère du brahmanisme que les formes extérieures, — les Çikhes, qui se rattachent au célèbre prophète Bâbâ-Nânak et ont une doctrine à eux, — les Népalais et les habitans de Ceylan, qui sont bouddhistes, — et tant d’hommes répandus dans l’Inde qui portent le nom de Jœnas[1]. On ne peut appliquer à ces différens peuples les mêmes procédés de conversion, ni les évangéliser de la même manière. Paul ne parlait pas aux aréopagites comme les apôtres des Gaules parlaient aux Bourguignons ou aux Francs. Il est maladroit de tenir aux pauvres gens du Ghandwâna ou du Malabar le même langage qu’aux pândits de Bénarès ou de Calcutta. Catéchiser des brahmanes en pleine rue ou avec passion est à leurs yeux une action qui tient de la folie : un docteur, un gourou qui explique la sainte écriture est modestement assis sur sa natte ou sur son escabeau garni de peau d’antilope, et, tenant le Vêda ouvert devant lui, il l’interprète verset par verset avec gravité et convenance quand ce n’est pas avec profondeur et suivant les formules de la science. Il ressemble beaucoup, sauf le site et le costume, à nos professeurs de théologie, et il dit presque les mêmes choses. Les sermons en plein vent ne sont point de son goût, et les choses qu’on y dit lui paraissent venir d’un autre monde. Vous n’aurez d’action sur lui que si vous vous prêtez d’abord à sa manière de penser et de parler. Le brahmanisme n’est pas une religion barbare, un culte sans doctrine, où l’on adore des formes fantastiques qui ne recouvrent aucune idée ; il renferme au contraire une métaphysique profonde, fort bien déduite, fondée en raison, méditée et discutée par de savans hommes depuis quatre mille ans. Cette métaphysique a défrayé

  1. Secte nombreuse dont les membres sont considérés comme les successeurs directs. des bouddhistes dans l’Inde.