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élégante, barbe noire, visage ayant la couleur du froment, comme celui de sa mère ; doigts longs, voix sonore, parole suave, » C’est d’après la première de ces descriptions que l’empereur Constantin a fait peindre les portraits de Jésus-Christ ; ils sont restés comme un type hiératique, comme un canon sacré dont l’église grecque orthodoxe ne s’en est pas encore éloignée aujourd’hui. Jusqu’à l’époque de la renaissance, ce type primitif a été assez bien conservé ; mais alors, dans la folie d’antiquité et de paganisme qui saisit tout à coup les artistes, le Jésus légendaire fut dédaigné, et on lui substitua simplement le Jupiter olympien. Le Christ ne fut plus un Juif, il devint un Grec : inconséquence flagrante qui dure encore de nos jours, ainsi que nous pouvons nous en convaincre en regardant la Communion des Apôtres de M. Delaunay.

« Et comme ils mangeaient, Jésus prit du pain, et, ayant rendu grâces, il le rompit et le donna à ses disciples et dit : Prenez et mangez, ceci est mon corps. » C’est dans ce verset de saint Matthieu que M. Delaunay a choisi le sujet de son tableau : Jésus debout offre le pain à ses disciples, comme le prêtre donne l’hostie aux communians. Il n’y a rien de cela dans le texte, le mot prenez indique même qu’il y a le contraire ; mais cela est peu important, et je ne chicanerai pas M. Delaunay sur son interprétation ; elle rentre dans les traditions plastiques dont je parlais plus haut, et comme telle elle lui appartenait. Les apôtres entourent le Christ nimbé et font autour de lui une sorte de cercle dont il est le centre. La chambre est basse, les poutrelles du plafond descendent presque à hauteur des têtes ; au fond, par les baies ouvertes, on aperçoit la campagne. Les personnages, resserrés en un espace étroit, se tassent trop les uns contre les autres ; la lumière n’est pas abondante, cela tient sans doute à ce que le crépuscule va descendre pour annoncer la dernière nuit du rédempteur. Le sentiment est doux et triste comme il convient au sujet ; le coloris n’a rien de tapageur, il est trop vineux peut-être, mais il a été conçu dans une gamme tendre, un peu étouffée, et qui ne manque point de mystère. Ce tableau est honorable ; ce n’est point un chef-d’œuvre, mais il est évidemment d’un peintre qui respecte son art et qui a eu souci d’un idéal élevé. Cependant ce n’est qu’une réminiscence, réminiscence de Raphaël vu à travers l’école de Bologne, école théâtrale et pompeuse, remarquable si on la compare à l’école française, où Jouvenet chercha à la faire prédominer, médiocre si on la met en regard des autres écoles italiennes. Cette école bruyante n’a produit qu’un peintre réellement hors ligne, c’est Francesco Francia, son créateur ; tous ceux qui vinrent après lui, le Dominiquin, le Guerchin, le Guide, les Carrache, sont des rhéteurs désagréables, qui remplacent le génie qui leur manque par