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tement qu’il n’avait rien d’excessif, que M. Bida a bien fait de le concevoir, et qu’il a triomphé de toutes les difficultés qu’il a dû rencontrer.

Ces deux dessins, exécutés au crayon noir, ont une importance que bien des tableaux, et des meilleurs, seraient en droit de leur envier. Il est facile de voir au premier coup d’œil que M. Bida est un familier de l’Orient et qu’il a vécu en Palestine. À notre époque, époque critique par excellence, où l’on demande volontiers aux choses leur raison d’être, il me paraît impossible de faire un tableau religieux historique, reproduisant un des faits racontés par les Écritures saintes, sans avoir parcouru ce qu’on appelle en style officiel « le théâtre des événemens. » La Judée est, pour ceux qui ont su la voir, le plus admirable commentaire de la Bible qu’on puisse consulter. Toutes les obscurités se déchirent, chaque aspect du pays est une preuve, chaque usage une confirmation, chaque coutume un développement. Le livre et la vieille patrie hébraïque sont indissolublement liés, il est difficile de comprendre l’un sans l’autre ; lorsqu’on les met en présence, ils s’expliquent, se complètent, se racontent et ne gardent plus aucun secret. À ce double, point de vue, M. Bida est un initié ; il sait ce que c’est que la robe sans couture ; il a entendu, comme le prophète irrité, sonner les hauts patins des femmes de Jérusalem ; il a rencontré des santons hérissés qui lui ont rappelé Jean le Baptiste ; il a vu des enfans courir après un vieillard qui avait perdu son turban et crier : Ah ! ce chauve ! Il a dormi sous la tente de Booz ; à Gasser Beneck-el-Yakoub, il a aperçu de longs troupeaux semblables à ceux du rusé Jacob et marchant au bruit des grelots. Si on lui iit le verset tant commenté de l’Exode : « Quand vous verrez les enfans des femmes des Hébreux et que vous les verrez sur la chaise, si c’est un fils, mettez-le à mort, » il pourra dessiner la chaise et dire à quoi elle sert, car il en a vu beaucoup, non-seulement en Égypte, mais dans les différentes contrées de l’Orient qu’il a visitées. M. Bida en effet n’est pas seulement un artiste remarquable, c’est un lettré instruit ; tout en observant le côté pittoresque qui lui importait, il a étudié les mœurs et pénétré profondément dans la vie des peuples qu’il côtoyait en passant. Grâce à son esprit juste, à sa sagacité et à un travail constant, il lui a été permis de reconstruire pièce à pièce l’existence des hommes dont il voulait raconter l’histoire avec son crayon ; ses paysages, ses vues de villes, ses costumes, ses types sont exacts comme des photographies. Cette nouvelle et très sérieuse méthode d’interprétation portera-t-elle ses fruits et trouvera-t-elle des imitateurs parmi les artistes qui gardent encore quelque souci de la