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endormante chère aux sorcières, la douce renonculacée qui fait rêver, console et donne des visions pleines d’espérance. Médée a posé sa petite main sur l’épaule de Jason, et ce seul geste suffit à nous faire comprendre que déjà il ne s’appartient plus, qu’il va être saisi tout entier, que le vainqueur de tant de monstres a trouvé l’être dévorant par qui les plus énergiques sont vaincus : la femme -aimée. Ce mythe est éternel, il est d’aujourd’hui comme il était d’autrefois ; il change de nom et de patrie, mais il reste toujours le même et porte avec lui le même enseignement. Au paradis, c’est Adam et Eve ; chez les Grecs, il se nomme Hercule et il file aux pieds d’Omphale ; en Judée, il s’appelle. Samson, et Dalilah lui coupe les cheveux. On a beau être la créature directe de Dieu comme Adam, être fils de Jupiter comme Hercule, être inspiré par l’esprit de Jéhovah comme Samson, on n’en est pas moins terrassé par le doucereux ennemi auquel on a livré son cœur. Et à quelle heure est-on ainsi perdu ? A l’heure propice par excellence, à l’heure du triomphe, à l’heure où, maître des événemens, on a dompté la nature, ébloui les hommes, égale les dieux, à l’heure où rien ne paraît plus impossible, où l’on croit, comme Encelade, pouvoir escalader l’empyrée. La femme intervient alors ; le héros quitte sa massue, prend la quenouille et file en chantant un bonheur qui le détruit et le désagrège tout entier. Je puis me tromper, mais il me semble que c’est bien là ce que M. Moreau a voulu dire en nous montrant ces deux jeunes personnages triomphans, chacun à sa façon, dans leur paradis mythologique. Cette pensée me paraît très simple, très claire et très juste ; elle était de nature à inspirer un beau tableau. Une très vive préoccupation du grand style, une chasteté qu’on ne saurait trop louer, font de cette toile une œuvre digne d’éloges ; elle nous prouve que l’Œdipe n’était point un accident, et qu’il y a chez M. Moreau une conviction sérieuse et une envie de bien faire qui savent résister à l’enivrement du succès. Il sait que dans les arts, comme dans la littérature, on n’est jamais arrivé, et qu’il reste toujours mieux à tenter. Nous pourrions facilement faire quelques critiques de détail : le bras de Jason, celui qui lève la palme d’or, est maigre et d’un dessin plus cherché que trouvé ; l’épaule de la Médée est trop grêle, surtout par rapport à la largeur arrondie des flancs. L’harmonie générale est bonne et savante : elle est blonde et se détache sur un fond bleu et brun qui lui donne un relief suffisant. Quant à l’exécution, on peut l’étudier de près, elle ne recèle aucune négligence. La composition est héroïque sans être théâtrale, et il y avait là un écueil qu’il n’était cependant pas facile d’éviter.

Le second tableau de M. Gustave Moreau est intitulé le Jeune Homme et la Mort, C’est encore la vanité des espérances humaines