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L’accidentel cache le définitif. Je sais qu’il est fort agréable, quand on est sûr de sa main, d’exécuter ces petits tours de force de couleur ; je sais que lorsque l’on a, comme M. Moreau, un esprit curieux, recherché, un peu trop précieux peut-être, rien n’est plus plaisant que de créer à plaisir cette espèce d’orfèvrerie mignonne et gracieuse qui est plutôt de l’ornementation que de la peinture ; mais je sais aussi que de tous les ordres d’architecture le plus beau est le dorique, que les tableaux de M. Moreau sont tellement composites qu’ils déroutent l’attention à force de la promener d’objets inutiles en objets superflus, et je sais enfin qu’il n’y a pas de vraie grandeur, pas de style sans simplicité et sans sobriété. Si par la pensée M. G. Moreau veut bien débarrasser son Jason de tous les élémens étrangers qui l’encombrent, si, au lieu de ce trophée qui, avec ses bandelettes, ressemble à un immense mirliton, il veut bien suspendre au chêne de la légende la toison de bélier couverte des pépites d’or recueillies dans le fleuve, il verra grandir ses personnages, il les verra acquérir un relief, une importance qu’il a voulu leur donner, et que leur enlève le fouillis qui les entoure. Chacun de ces accessoires est en lui-même traité à ravir, j’en conviens volontiers ; mais les choses ne sont jamais belles qu’à leur place. Mettez un collier ciselé par Benvenuto Cellini au cou de la Vénus de Milo, et vous lui ôtez immédiatement son ampleur et sa majesté. Que M. Moreau sache se châtier lui-même, cela lui sera facile ; qu’il force son imagination à se concentrer sur le sujet seul, sur le sujet abstrait de ses tableaux, et nous ne regretterons pas les reproches que nous avons cru devoir lui soumettre, car alors nous n’aurons plus que des éloges à lui adresser.

M. Paul Baudry a demandé aussi à la mythologie un prétexte aux agréables et futiles colorations auxquelles il se complaît. J’avoue qu’en voyant annoncer, avant l’ouverture du Salon, une Diane chassant l’Amour, je m’étais imaginé une vaste allégorie conçue au point de vue épique : Diane, la chasteté, guidant ses lévriers de Laconie à travers les halliers et poursuivant son éternel ennemi. J’avais compté sans le peintre. La façon dont il a traité son sujet est beaucoup plus simple et ne nous montre rien de nouveau. Diane est assise auprès d’une source où brille la fleur de quelques iris ; l’Amour, un Amour bouffi du bon vieux temps, le petit dieu badin en un mot, est venu la regarder de trop près : elle le chasse en essayant de le frapper, non, de le battre avec une de ses flèches. La flèche de l’Amour est armée d’une pointe d’or, celle de Diane est ferrée : c’est là tout l’esprit de la composition. Après un tel effort, M. Baudry s’est reposé : exegi monumentum ! Le dessin est toujours ce qu’il est dans les tableaux de M. Baudry, fort indécis et