Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/696

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est qu’un homme, il est sans titre. Il faut des signes manifestes de sa mission, de son autorité, des signes insolites et incompréhensibles, commandant le respect, forçant les convictions, des actes impossibles à la puissance humaine, des faits miraculeux.

Telle est la condition suprême et nécessaire de toute solution des problèmes naturels, ou, ce qui revient au même, de toute grande et vraie religion. Il faut l’apparition sur terre d’un être évidemment divin, manifestant par des miracles le caractère de sa mission et son droit à être obéi. Miracle et religion sont donc deux termes corrélatifs, deux termes inséparables : n’essayez pas de garder l’un en vous débarrassant de l’autre, la tentative est chimérique. Si vous opérez ce divorce, tout va s’évanouir. La religion sans les miracles n’est plus qu’une doctrine humaine, une simple philosophie qui n’a plus droit de pénétrer dans les mystères de l’infini, ou qui n’en peut rien dire que par voie d’hypothèse, sans prestige et sans autorité.

Il n’y a donc pas de milieu, il faut admettre les miracles. Voilà la pierre d’achoppement.

Passe encore, direz-vous, quand ce monde était jeune, quand l’homme ignorant et novice n’avait pas expérimenté pendant le cours de tant de siècles la fixité des lois de la nature ! Il pouvait supposer qu’une puissance occulte, à certains jours et pour certains desseins, se jouait de ces lois, les suspendait à volonté ; mais aujourd’hui, à l’âge où nous voici, savans comme nous sommes, comment plier notre raison à ces crédulités ? comment donner à la science cet injurieux démenti ?

— Vous vous croyez donc bien savans ? Vous pensez donc connaître à fond toutes les lois de la nature ? Parce que de temps en temps vous lui dérobez des secrets plus ou moins merveilleux, vous voilà convaincus qu’elle vous ai dit son dernier mot ! Étrange outrecuidance ! Regardez en arrière, oui, vous avez raison, vous venez de parcourir une distance immense ; regardez en avant, le but est aussi loin, que du temps de vos pères la distance à franchir reste toujours la même, vous n’avez point avancé d’un pas. Loin d’ajouter à votre présomption, ces progrès de votre savoir devraient ne rendre que plus profond le sentiment de votre ignorance. Plus vous aurez fait de conquêtes, plus votre impuissance radicale éclatera dans tout son jour. Et vous osez nous dire, comme si vous le saviez, ce que les lois de ce monde, permettent ou ne permettent pas, tandis qu’à chaque instant des faits nouveaux, inattendus, constatés par vous-mêmes, déroutent vos calculs, déjouent vos prévisions et dérogent aux lois que vous teniez la veille pour absolues et éternelles !

Sans doute un ordre général et permanent règne en ce monde ;