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là que la faute a eu lieu. C’est par la science du divin, de l’infini, de ces mystères dont nul regard ne peut sans Dieu sonder la profondeur, que follement l’homme a voulu se faire égal à Dieu. Quant à la science du fini, la science purement humaine, c’est autre chose : Dieu n’en est pas jaloux. Aussi que dit-il au rebelle en l’exilant et en le châtiant ? Travaille, c’est-à-dire exerce non-seulement tes bras, mais ton esprit ; sois habile, inventif, puissant, fais des chefs-d’œuvre ; monte aussi haut que par toi-même ta pensée peut monter : deviens Homère, Pindare, Eschyle ou Phidias, Ictinus ou Platon. Je te permets tout, sauf d’atteindre sans moi jusqu’aux choses divines. Là tu trébucheras, tant que tu n’auras pas pour te montrer la route le secours que je t’ai promis. Tu seras idolâtre ; ta raison, ta science, ton bon sens même ne t’en sauveront pas.

N’est-ce pas en effet quelque chose d’étrange, dans ce monde de l’antiquité, que l’extrême infériorité des religions, eu égard aux autres conceptions de l’intelligence humaine ? Ne voyez que les arts, les lettres, la philosophie ; l’humanité ne peut pas aller plus haut. Vous êtes au sommet de la civilisation. Tout ce que la jeunesse et l’expérience réunies peuvent enfanter de noble et de parfait, vous le voyez éclore : ces coups d’essai sont des œuvres de maître qui vivront jusqu’aux derniers siècles et resteront inimitables. Maintenant retournez-vous, voyez les religions, interrogez les prêtres, quelle étonnante disparate ! Vous vous croyez chez des peuples enfans. Jamais d’un même sol, d’un même temps, d’une même société, vous n’avez vu sortir des fruits si peu semblables. D’un côté la raison, la mesure, la justesse, l’amour du vrai, de l’autre l’excès presque stupide ou du mensonge ou de la crédulité. Sous ces fables puériles percent bien çà et là de grands enseignemens, débris de la primitive alliance entre Dieu et sa créature ; mais ce ne sont que vérités éparses noyées dans un torrent d’erreurs. Le grand défaut, l’infirmité de ces religions antiques, ce n’est pas seulement le symbolisme qui leur sert d’enveloppe, c’est avant tout l’obscurité et la stérilité du fond. Elles ne sont pas capables de dire un mot net et lucide des problèmes de notre destinée. Loin d’en ouvrir l’accès à la masse des hommes, elles semblent prendre à tâche de les cacher aux yeux sous une couche épaisse d’énigmes et de superstitions.

Et c’est là cependant la seule nourriture morale qu’ait reçue pendant des milliers d’années ce genre humain, évidemment puni et séparé de Dieu ! Il avait bien, comme compensation, pour lui parler devoir, à défaut de ses prêtres, des sectes, des écoles, des livres philosophiques ; mais à combien d’élus profitait ce secours ? Les meilleurs, les plus purs, les plus grands philosophes, par qui sont-ils compris ? jusqu’où porte leur voix ? En dehors de la banlieue