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tout cela finira, il le sait. Origine du monde, origine de l’espèce, question des races, destinée de l’homme en cette vie et en l’autre, rapports de l’homme avec Dieu, devoirs de l’homme envers es semblables, droits de l’homme sur la création, il n’ignore de rien, et quand il sera grand, il n’hésitera pas davantage sur le droit naturel, sur le droit politique, sur le droit des gens, car tout cela sorts, tout cela découle avec clarté et comme de soi-même du christianisme. Voilà ce que j’appelle une grande religion : je la reconnais à ce signe, qu’elle ne laisse sans réponse aucune des questions qui intéressent l’humanité[1]. »

Nous aimons à relire ces paroles d’un maître et d’un ami, qui, à son jeune âge, s’était nourri des vérités chrétiennes, et qui peut-être les eût encore goûtées si les épreuves de la vie s’étaient prolongées pour lui. Il faut se garder sans doute de prêter à ceux qui ne sont plus nos propres sentimens, mais il est bien permis de garder de leur âme un fidèle et complet souvenir. Même au temps où Jouffroy portait le poids du doute, lorsqu’il laissait sa plume nous dire avec complaisance comment les dogmes finissent, il eût fallu bien peu de chose pour qu’il apprît à ses dépens comment ils se perpétuent ! La croyance a ses mauvais jours ; ses rangs se déciment parfois, l’armée semble se fondre : elle ne saurait périr. Pour remplacer les déserteurs, pour la recruter sans cesse, n’y a-t-il pas les douleurs, les misères de ce monde, le besoin de prier et la soif d’espérance ?

Laissons là ce doux et profond penseur dont nous aimons à suivre à travers le passé la lumineuse trace ; revenons au grand et ferme esprit qui aujourd’hui nous occupe et à qui tant de liens et tant de souvenirs nous attachent aussi. Sans l’avoir suivi pas à pas, nous ne l’avons pas perdu de vue. Nous avons côtoyé son œuvre en essayant d’en exprimer l’esprit. Il faudrait maintenant revenir en détail sur chacune de ces méditations. Que de choses nous ont échappé ! Que de traits de lumière, que d’aperçus, que de pensées ! Nous avons tout au plus rendu compte de la partie du livre où les limites de la science, la croyance au surnaturel et surtout la merveilleuse concordance entre les dogmes chrétiens et les problèmes religieux que l’homme apporte en naissant, son exposées avec tant de grandeur et tant d’autorité. Ce que Jouffroy, dans la page que nous avons citée, indique d’un simple trait, M. Guizot l’établit par preuves convaincantes en mettant chaque dogme vis-à-vis du problème auquel il correspond. Personne encore n’avait donné à l’harmonieuse relation de ces demandes et de ces réponses un tel caractère d’évidence. Ce sont aussi deux morceaux qui demanderaient

  1. Mélanges philosophiques, par M. Th. Jouffroy, 1 vol. in-8o, 1833, p. 470.