Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/751

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les indigènes prétendent que bien longtemps avant l’islam il y avait eu à Desset une ville peuplée par une nation riche et puissante, appelée Rôm, que la richesse avait enflé et endurci le cœur de ce peuple, qui avait fini par méconnaître Dieu lui-même. Le châtiment ne s’était pas fait attendre : la ville corrompue avait disparu ; et il n’était resté que des monceaux de pierres recouvrant les cendres des impies. On m’affirmait que je trouverais sur le terrain les tombeaux des Rôm et de deux de leurs sultans. Aussi, à peine campé, mon premier soin fut de regarder autour de moi. Au nord se dressait un plateau carré, et sur les angles sud-ouest et sud-est on pouvait distinguer de nombreux tumuli du milieu desquels s’élevait une construction bizarre, pareille à un blockhaus microscopique : c’était la tombe du roi (Koubet es sultan). Le style de ce monument ne ressemblait en aucune façon à celui des sépultures modernes chez les diverses tribus de la Haute-Nubie. Il était à demi écroulé : une sorte de chattière me permit de me glisser en rampant dans l’intérieur, où je ne trouvai rien de remarquable. Sur les hauteurs voisines se dressaient dans le même alignement, au nord et au sud, des groupes et des monumens du même genre. Les tombeaux de Desset ont fourni aux nomades le texte de plusieurs légendes d’une véritable poésie. A en croire les indigènes, quiconque passe la nuit au pied de ces tombeaux reçoit l’inspiration poétique. Un jour, un homme étranger au pays fut surpris par les ténèbres près du tombeau royal et s’étendit sur le socle : aussitôt il entendit un grand murmure, comme celui d’un campement qui rentre le soir à la zériba ; mais ce n’était qu’un murmure, et ses yeux ne voyaient rien. Il distingua seulement la voix d’un ancien qui demandait aux jeunes gens : « A-t-on préparé ce qu’il faut pour héberger cet étranger ? A-t-on cuit la lougma qu’il doit manger ? A-t-on trait le fait qu’il doit boire ? » Les Rôm, dit la même tradition, étaient un peuple riche, qui avait tous les Bédouins des alentours pour vassaux. Il n’y a pas cent ans que le dernier des Rôm est mort. Avant d’expirer, il a fait son chant funèbre. Il était assis sur une pierre à l’ombre d’un tamaris, et il improvisait ; un Bédouin s’était caché dans l’arbre en voyant venir le géant (car les Rôm étaient d’une taille surhumaine). Le colosse le vit et lui dit, doucement : « Ne crains rien, mais écoute et grave dans l’on souvenir le chant que je vais chanter, afin de le redire en mémoire du dernier Rôm, quand il ne sera plus. » Cette chanson est encore connue de quelques vieillards du Sennaheit ; mais on n’en possède que la traduction, car les Rôm avaient une langue particulière qui a péri avec eux.

Il y a sur cette légende deux observations à faire : la première, c’est que le Sennaheit est indiqué dans la plus ancienne carte spé-