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de cet intérêt fondamental de la France en Amérique. On n’a point songé à cela en 1862 ; on a agi comme si la grande république était vouée à un déchirement irréparable. Il faut y réfléchir aujourd’hui, non avec une inquiétude indigne du courage et de la puissance de la France, mais avec une attention sérieuse et une intelligence virile des difficultés devant lesquelles nous nous trouvons.

Il demeurait douteux, même sans la paix des États-Unis, que le gouvernement de l’empereur Maximilien pût avant longtemps subsister en s’appuyant uniquement sur des forces mexicaines, et se passer du concours d’une armée française. Il est certain aujourd’hui que rien de durable ne pourra être fondé au Mexique sans le concert de la France et des États-Unis. Nous ne croyons point que le gouvernement américain soit animé d’intentions hostiles contre la France ; les paroles de sympathie chaleureuse pour notre nation que le président Johnson a adressées à M. de Montholon ont confirmé nos espérances. Le gouvernement américain s’appliquera, nous en sommes convaincus, avec une sollicitude sincère, dans la mesure de son pouvoir, à prévenir tout incident dont la France au Mexique pourrait être légitimement blessée ; mais nous craindrions que l’on ne se fit illusion, si l’on croyait qu’il pût pratiquer au Mexique une autre politique que celle de l’attente et de la neutralité. Il n’est pas vraisemblable que la république américaine veuille jamais reconnaître un empire improvisé sur sa frontière par des armes européennes. Il n’est pas probable que M. Seward, qui n’admettait point dans les documens officiels le titre impérial de l’archiduc Maximilien, lorsque les angoisses de la guerre civile duraient encore, se montre plus facile aujourd’hui que la république est pacifiée. En tout cas, il faudrait que l’établissement de l’empire fût un fait accompli pour espérer de le faire reconnaître par l’Amérique. Tant que Juarez et ses troupes tiendront la campagne, il n’y a pas à attendre autre chose des États-Unis que la neutralité. Or il y a lieu de redouter que le rétablissement de la paix en Amérique et la neutralité des États-Unis n’encouragent l’opiniâtreté et la résistance mobile et capricieuse des juaristes. Nous ne nous effrayons point des émigrations américaines au Mexique ; cependant il sera bien difficile au gouvernement américain de les empêcher complètement, quand même il mettrait le plus grand zèle à faire observer par ses nationaux les devoirs de la neutralité. Et qui aurait en Europe le droit de s’en étonner ? En dépit des devoirs de la neutralité, n’avons-nous pas vu les chantiers britanniques et les équipages anglais armer les corsaires confédérés, et un port français n’a-t-il pas eu le triste honneur de construire le dernier vaisseau de course de la rébellion esclavagiste ?

Dans cet état de choses, même en ayant le droit de compter à présent sur les dispositions franchement amicales du gouvernement américain, les difficultés de notre entreprise mexicaine grandissent et commencent à éclater à tous les yeux. On est fondé à craindre qu’au lieu de s’abattre, la ré-