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mois sous un épais manteau de neige. Sur les hauteurs où elles croissent, la température moyenne de l’année est de — 7 degrés, celle même de l’été est de — 1 degré. Pendant le jour, ces plantes, douées d’une vitalité si étrange, absorbent avidement la chaleur intense que développe la réverbération du soleil contre les parois où elles s’accrochent ; mais toutes les nuits il gèle, et il faut qu’elles aient une constitution bien robuste pour résister à ces variations extrêmes de température, même pendant la floraison. Parmi ces derniers représentans de la vie végétale dans la région des glaces éternelles, on remarque la chrysanthème alpine, la renoncule glaciale, deux espèces de saxifrages, le séneçon à fleur unique, deux gentianes et la silène acaule[1]. Bien plus haut que les plantes à fleurs visibles, on trouve encore quelques cryptogames[2] qui sont comme la moisissure des rochers, auxquels ils donnent les plus belles teintes. On en a reconnu au sommet du Mont-Rose, et jusqu’à ce jour on ne sait pas encore au-delà de quelle limite ces végétations inférieures cessent de rencontrer les conditions nécessaires à leur sourde existence.

On peut choisir Zermatt comme le meilleur point de départ pour des excursions variées dans la région des Alpes pennines qui est dominée par le Mont-Rose. Veut-on connaître les grands aspects et goûter les profondes impressions dont on jouit sur les hauts sommets sans tenter la rude entreprise d’une ascension à la cime principale, on peut gravir la Cima-di-Jazzi, d’une hauteur de 13,2. 10 pieds, qui dépasse ainsi les plus hauts points des Alpes bernoises et même le Finsteraarhorn, ce pic redouté qu’on n’a escaladé que trois ou quatre fois. L’excursion à la Cima-di-Jazzi ne présente aucun danger. Néanmoins, pour la faire, il faut disposer des forces nécessaires à une marche de huit à neuf heures sur la neige, tantôt durcie par les gelées de la nuit, tantôt amollie par les rayons du soleil, et il est indispensable de porter un voile vert ou des lunettes bleues, si l’on veut éviter l’inflammation produite par l’insupportable éclat de l’immense névé sur lequel on s’élève. On va coucher à l’hôtel du Riflel, et l’on part à trois heures du matin, afin de faire la montée avant que la neige ne soit trop molle. Au sommet, on a la même vue qu’au Gorner-Grat ; mais ce qui augmente singulièrement l’effet, c’est qu’on plonge à pic sur le cirque de Macugnaga, qui

  1. Voici le nom des plantes trouvées par MM. Schlagintweit au passage du Weissthor : Gentiana imbricata, Ranonculus glacialis, Senecio uniflorus, Saxifraga muscoïdes et compacta, Eritrichium nanum, Chrysanthemum alpinum, Poa alpina et P. laxa.
  2. Parmelia elegans et P. muralis, Cetraria nivalis et Umbilicaria virginis, ainsi nommée parce qu’on l’a trouvée au sommet de la Jungfrau.