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pour entrer définitivement en voie d’exécution, que la sanction des projets de loi qui les concernent et qui sont présentés à la nouvelle chambre. C’est incontestablement à l’indestructible vitalité de son antique génie que la Grèce doit de n’avoir pas péri pendant les quatre siècles de servitude qu’elle a traversés. Ce génie s’est opiniâtrement transmis d’une génération à l’autre en inspirant au peuple conquis la force de toutes les résistances et de tous les sacrifices, l’inébranlable confiance dans son droit imprescriptible, l’invincible pressentiment de la délivrance. Malgré les mélanges que la race hellénique a subis, la Grèce moderne est tout entière animée de l’âme antique ; mais elle est arrivée à une période de sa renaissance où les seules forces de son ancien génie ne suffisent plus à l’achèvement de sa régénération et au développement de sa destinée. Sans abdiquer les vertus qui lui sont propres, sans se dépouiller des traits distinctifs qui témoignent fièrement de son origine, la Grèce doit aujourd’hui modifier l’esprit qui l’anime et le rajeunir au contact de la civilisation moderne, sous peine de passer à la décrépitude sans avoir traversé l’âge mûr, d’arriver à la décadence avant d’avoir connu le progrès. On se demande, il est vrai, si une telle modification ne sera pas à quelques égards désavantageuse à la Grèce. Ne risque-t-elle pas d’affaiblir le viril tempérament de sa race, d’émousser ses mâles qualités, la vigueur de ses convictions religieuses, la sobriété de ses mœurs, sa passion pour l’indépendance ? Ceux qui ont de telles inquiétudes ignorent que la nature elle-même a soustrait la Grèce à ce péril. La Grèce en effet ne sera jamais un de ces grands centres de production industrielle et manufacturière au sein desquels les peuples s’énervent, s’amollissent et se démoralisent. C’est surtout par l’agriculture, par l’exploitation des richesses dont la nature a si généreusement doté son sol, qu’elle doit monter un jour au rang des nations les plus prospères. La vie agricole, seule appelée à dominer en Grèce, développée par l’introduction des procédés de l’industrie moderne, qui lui serviront de puissans auxiliaires, excitée par une circulation facile, prompte, économique, tout en arrachant le peuple à son indigence et à sa barbarie, ne lui enlèvera aucune des grandes qualités qui lui sont propres ; elle maintiendra au contraire dans toute leur énergie les principaux attributs de son antique génie, son fervent patriotisme, sa foi vive, ses aptitudes guerrières, et par-dessus tout son ardent amour de la liberté.


E. YEMENIZ.