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de recherche ne lui a coûté ; il a suivi fidèlement Sterne à travers toutes les étapes de sa vie à la fois si paisible et si agitée ; il a mis ses pieds dans toutes les traces qu’avaient laissées les pas de son auteur favori ; il a consulté tous les registres de paroisse pour connaître les dates exactes des plus petits faits, les livres de ménage pour connaître la valeur exacte de telle dépense domestique, les souvenirs locaux pour mettre d’accord la tradition orale et les documens écrits ; il a interrogé les lieux où s’écoula sa vie pour savoir si ces témoins muets pourraient lui révéler quelques-unes des particularités de son génie. Quiconque a pu lui livrer un autographe, un dessin, une lettre inédite de Sterne, a été le bienvenu. Il est résulté de ces recherches, entreprises avec une patience amoureuse, un livre des plus intéressans, auquel nous reprocherons cependant deux petits défauts. Le premier s’adresse à la forme adoptée par l’auteur, qui s’est trop scrupuleusement appliqué selon nous à imiter le genre de narration pittoresque mis à la mode par Thomas Carlyle. Ce genre convient merveilleusement à certains sujets d’histoire ou de grande littérature, mais il s’adapte mal à un sujet où se succèdent les petits tableaux de l’idylle, du vaudeville, de l’anecdote de la vie mondaine. Le second porte sur l’étendue de l’œuvre. Deux volumes de près de cinq cents pages chacun sur l’auteur de Tristram Shandy et du Voyage sentimental, c’est beaucoup, c’est trop, et il nous semble qu’un seul aurait suffi pour condenser tout ce que la vie de Sterne offre de réellement curieux. La personne de Sterne remplit mal deux gros volumes, et l’on pourrait dire que le gentil ecclésiastique est là dedans comme dans une soutane trop large. Sterne, ne l’oublions pas, n’est après tout que l’auteur de deux livres ingénieux ; aucun des grands intérêts humains ne l’a préoccupé ; il n’a été mêlé à aucune grande querelle religieuse, philosophique ou littéraire ; il n’a été acteur dans aucun événement important pour notre race, il n’a même imposé au goût de son pays. aucune direction nouvelle ; en un mot, il n’a pas eu de rôle extérieur, public, historique. Reste donc l’individu, l’homme Sterne, the man Sterne, comme disait brutalement le docteur Samuel Johnson ; mais. ici encore l’étoffe est mince et de médiocre largeur. La plus grande partie de cette existence s’est écoulée assez obscurément dans quelques paroisses du Yorkshire. Sterne était déjà avancé en âge lorsque la fantaisie lui prit de devenir auteur. Ce n’est guère qu’à partir de la publication de Tristram Shandy qu’il se mêla beaucoup aux hommes et aux choses, et cette publication, qui date de 1760, fut suivie d’assez près par la mort de l’auteur, arrivée en 1768. Il n’y a donc dans ceinte existence que huit années de pleine lumière, et encore l’intérêt de ces huit années est-il comme tari et desséché par la maladie