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chidiacre whig, muni du vicariat de Sutton et du titre de prébendier d’York. Trois ans plus tard, en 1741, il s’attachait au pied le boulet qu’il devait traîner toute sa vie, c’est-à-dire sa femme, l’insignifiante et quelque peu maussade Elisabeth Lumley. Ce mariage était pourtant du genre de ceux qui sont dits d’inclination, et Laurence l’avait désiré avec autant de constance et d’ardeur que lui en permettait sa capricieuse nature. C’est dans la société de ses riches cousins du Yorkshire qu’il avait rencontré cette Elisabeth Lumley, fille d’un clergyman, personne assez médiocre et d’esprit et de visage, s’il faut en croire les témoignages de M. Fitzgerald et de Nathaniel Hawthorne, qui, en fouillant la boutique d’un bouquiniste, avait rencontré un portrait de mistress Sterne frappant de vulgarité ; mais elle était jeune alors, et elle avait cette gentillesse du diable que la nature, comme une tendre mère, accorde dans leur printemps à presque tous ses enfans, afin qu’il n’en soit aucun qui reste sans attraits sur les cœurs. C’est par cette gentillesse qu’elle plut à Sterne, qui de sa vie ne semble avoir compris la vraie beauté et se laissa toujours prendre aux visages intéressans. En outre elle avait une jolie voix et passait pour bonne musicienne ; or Sterne adorait la musique et jouait lui-même du violoncelle. Bref, pour une cause ou pour une autre, Sterne s’en éprit, et cette passion dura plusieurs années. Nous avons quelques-unes de ses lettres d’amour ; ce sont de jolies lettres, fort bien écrites, toutes dans le ton de cette sentimentalité qui commençait à être dans l’air à cette époque et que lui-même devait tant contribuer à mettre à la mode, parsemées de quelques exagérations puériles qui font sourire. On a là sous une forme tout à fait gentille l’éternelle histoire des illusions de l’amour. Sterne, le capricieux Sterne, se promet une éternité de bonheur avec cette inoffensive et banale personne ! Vous plairait-il d’entendre Sterne se duper lui-même ? Alors dans tout l’éclat de la jeunesse, il possède une sincérité de tendresse qui est destinée à passer bien vite, car si sa femme n’eut jamais que la beauté du diable, on peut dire que lui n’eut jamais que la candeur du diable, une candeur qui fut tout à fait comme ce genre de beauté, un simple déjeuner de soleil. Regardons-le pendant que la rosée de la jeunesse n’est pas encore desséchée.


« Oui, je me déroberai au monde, et pas une langue babillarde ne dira où je suis, et Écho même ne chuchotera pas le nom de ma retraite. Laisse ton imagination se peindre cette retraite comme un petit cottage doré du soleil, sur le flanc d’une colline romantique. — Et penses-tu que je laisserai derrière moi l’amour et ramifié ? Non ; ils seront mes compagnons dans la solitude, s’asseyant quand je m’assiérai, se levant quand je me lèverai, sous la forme de mon aimable Lumley. Nous serons aussi heureux