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en grande partie les dettes laissées par lui. Outre cette fortune, elle apportait encore à Sterne le bénéfice du vicariat de Stillington, qu’un ami de sa famille lui avait promis comme cadeau de noces, en sorte que ce mariage d’inclination fut en même temps pour l’heureux Yorick une excellente affaire pratique.

Ce que fut ce mariage, une pièce écrite vingt-six ans plus tard vous le dira, si vous la lisez avec soin. C’est une lettre en latin macaronique adressée à son ami Stevenson en 1767, par conséquent un peu moins d’un an avant sa mort[1]. La pièce est amusante, mais il y a là une légèreté qui fait mal. On y reconnaît par trop celui à propos de qui l’évêque Warburton, qui l’aimait pourtant beaucoup, écrivait un jour : « Je crains bien qu’il ne soit un incorrigible polisson. » Fi, monsieur Yorick ! Une pareille lettre serait coupable pour tout homme ; mais, de la part d’un ecclésiastique, marié, père de famille, qui a déjà senti sur lui s’appesantir la main de la mort et qui touche à l’éternité, elle est presque criminelle.

En dépit des ingénieux plaidoyers de M. Fitzgerald, on peut dire sans crainte d’altérer la vérité que Sterne fut un mari détestable.

  1. Nous croyons devoir donner ici le texte de cette pièce même ; une traduction éteindrait l’étincelle de réelle drôlerie qui ranime. En outre, en nous bornant au texte nous obtenons le double avantage de ne pas priver d’une pièce des plus amusantes ceux de nos lecteurs qui ont le droit de comprendre, et d’éviter une légère occasion de scandale à ceux qui ont au contraire le devoir de ne pas comprendre.
    « Literas vestras lepidissimas, mi consobrine, consobrinis meis omnibus carior, accepi die Veneris ; sed posta non rediebat versus Aquilonem eo die, aliter scripsissem prout desiderabas. Nescio quid est materia cura me, sed sum fatigatus et ægrotus de meâ uxore plus quam unquam — et sum possessus cum diabolo qui pellet me in urbem — et tu es possessus cum eodem malo spiritu qui te tenet in deserto esse tentatum ancillis tuis, et perturbatum uxore tuâ — crede mihi, mi Antoni, quod isthæc non est via ad salutem sive hodiernam, sive eternam ; num tu incipis cogitare de pecuniâ, quæ, ut ait sanctus Paulus, est radix omnium malorum, et non satis dicis in corde tuo, ego Antonius de Castello Infirmo, sum jam quadraginta et plus annos natus, et explevi octavum meum lustrum, et tempus est me curare, et meipsum Antonium facere hominem felicem et liberum, et mihimet ipsi benefacere, ut exhortatur Salomon, qui dicit quòd nihil est melius in hàc vità quàm quòd homo vivat festivè et quòd edat et bibat, et bono fruatur quia hoc est sua portio et dos in hoc mundo. — Nunc te scire vellemus, quòd non debeo esse reprehendi pro festinando eundo ad Londinum, quia Deus est testis, quôd non propero præ gloria, et pro me ostendere ; nam diabolus iste qui me intravit, non est diabolus vanus, ut consobrinus suus Lucifer — sed est diabolus amabundus, qui non vult sinere me esse solum ; nam cum non cumbenbo cum uxore meà, sum mentulatior quàm par est — et sum mortaliter in amore — et sum fatuus ; ergo tu me, mi care Antoni, excusabis, quoniam tu fuisti in amore, et per mare et per terras ivisti et festinâsti sicut diabolus, eodem te propellente diabolo. Habeo multa ad te scribere — sed scribo hanc epistolam in domo coffeatariâ et plenà sociorum strepitosorum, qui non permittent me cogitare unam cogitationem. — Suluta amicum Panty meum, cujus literis respondebo. — saluta amicos in domo Gisbrosensi, et oro, credas me vinculo consobrinitatis et amoris ad te, mi Antoni, devinctissimum. »