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mais comme nous savons maintenant que cette misère est une fable, nous ne trouvons plus rien de blâmable dans les larmes qu’il a versées sur l’âne de Nampont, et nous ne voyons rien de mal à ce qu’il ait fait manger des macarons à l’âne de Lyon, les seuls probablement que le pauvre baudet ait mangés dans toute son existence. Cet acte nous semble même tout à fait conforme à cette loi de la bienveillance qui nous ordonne de choisir nos dons de manière à offrir toujours à une personne la chose qu’elle peut se procurer le moins facilement. En bonne conscience, puisque Sterne voulait donner un plaisir à cet âne, il ne devait pas lui offrir une botte de foin ou de chardons, aliment qu’il pouvait se procurer sans lui, et ceux que ces fameux macarons ont scandalisés si fort ont tout simplement prouvé qu’ils connaissaient moins bien les lois de la politesse que le curé Yorick.

Quant au jugement qu’il a montré dans le Voyage sentimental, il est des plus perçans. Il a très bien vu et compris notre caractère national. Rappelez-vous ses anecdotes de salon, de théâtre, rappelez-vous surtout le fameux passage sur les trois âges de la coquette française, et placez hardiment les meilleurs de ces épisodes à côté des Lettres persanes ; ils peuvent tenir leur place à côté de ce dangereux voisinage, et certes c’est le plus grand éloge que nous puissions en faire.

En même temps que Sterne publiait les deuxième et troisième parties du Tristram Shandy, il publiait la collection des sermons qu’il avait prononcés pendant les vingt années de son ministère, pensant avec raison que le succès du premier de ces livres rejaillirait sur le second. Voilà un singulier passeport pour un volume de sermons que ce livre qui contient la célèbre malédiction d’Ernulphus, la non moins célèbre déclaration des docteurs français sur un cas difficile de baptême et le conciliabule des théologiens anglicans ! Il est vrai que par compensation Trim y lit un sermon sur la conscience, et que Sterne y figure assez honorablement sous le pseudonyme du vicaire Yorick. L’idée d’avoir accolé ensemble ses sermons et son Tristram peint Sterne au naturel ; cet acte d’étourderie est le symbole de toute sa vie.

Nous avons lu la plus grande partie de ces sermons, qui sont au nombre de quarante-cinq. Ils méritaient la publication, car ils ont un vrai mérite littéraire. Une de leurs qualités est d’être extrêmement courts, une autre est d’être parfaitement clairs et de porter en général sur dès questions de morale accessibles à toutes les intelligences ; mais ces qualités ne les sauvent pas d’une certaine froideur qui provient de l’absence du zèle chrétien. N’y cherchez pas un atome d’onction religieuse, un souffle d’enthousiasme mys-