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« Votre pauvre ami est à peine capable d’écrire, la pleurésie l’a conduit aux portes de la mort cette semaine, j’ai été saigné trois fois jeudi, et vendredi on m’a appliqué les vésicatoires. Le médecin dit que je suis mieux ; Dieu le sait ! pour moi je me sens bien plus mal, et si je me rétablis, il me faudra bien longtemps pour regagner mes forces. J’ai eu besoin de reposer ma tête une douzaine de fois avant d’arriver à moitié de cette lettre. M. James a été assez bon pour venir me voir hier. J’ai senti à sa vue des émotions que je ne puis décrire, et il me fit grand plaisir en me parlant beaucoup de vous. Chère mistress James, priez-le de venir demain ou le jour suivant, car peut-être je n’ai pas beaucoup de jours ni d’heures à vivre. J’ai besoin de lui demander une grâce si je me trouve plus mal, — ce que je demande de vous si je sors vainqueur de cette lutte, — ma tête s’en va, c’est un mauvais présage. — Ne pleurez pas, ma chère dame, vos larmes sont trop précieuses pour les répandre sur moi ; mettez-les en bouteille et puissiez-vous ne jamais la déboucher ! La plus chère, la plus tendre, la plus généreuse des femmes, puissent la santé, le bonheur et la joie vous accompagner toujours ! Si je meurs, gardez mon souvenir et oubliez les folies que vous avez si souvent condamnées et dans lesquelles mon cœur, et non ma tête, m’a jeté. Si mon enfant, ma Lydia, avait besoin d’une mère, puis-je espérer, — si elle reste orpheline, — que vous la prendrez sur votre sein ? Vous êtes la seule femme au monde sur laquelle je puisse compter pour une aussi bienfaisante action. Je lui ai écrit il y a une quinzaine, je lui ai dit ce qu’elle trouvera en vous, j’en ai confiance. M. James sera un père pour elle ; il la protégera contre toute insulte, car il porte une épée avec laquelle il a servi son pays et qu’il saurait tirer du fourreau pour la défense de l’innocence. Recommandez-moi a lui comme je vous recommande maintenant à l’être qui tient sous sa garde la bonne et sensible partie de l’humanité. »


Sa fin fut étrange et terrible, et fait un contraste singulier avec sa vie. On dirait un cinquième acte de mélodrame servant de conclusion à une gaie mascarade. Par une fatalité des plus bizarres, Yorick se trouvait seul au moment où la mort le surprit. Il avait renvoyé à Coxwould sa femme et sa fille, attendant, disait-il, qu’il fût rétabli pour aller les rejoindre. Deux jours après avoir écrit la lettre qu’on vient de lire, il se plaignit d’avoir froid aux pieds, et une garde-malade était en train de les frictionner lorsqu’un laquais entra pour chercher de ses nouvelles de la part de plusieurs de ses amis qui dînaient dans une maison voisine. Il arriva juste à temps pour voir Yorick étendre convulsivement le bras, l’entendre dire d’une voix faible : elle est arrivée, et le dépouiller sans craindre de résistance des boutons d’or de ses manchettes. Ayant ainsi accompli son message, il alla rapporter à ses maîtres ce qu’il avait vu. « Nous pouvons presque entendre d’ici le panégyrique d’après le repas, dit M. Fitzgerald. Garrick et Hume doivent avoir raconté ses escapades parisiennes et avoir déploré avec le chagrin d’hommes qui sortent de table que le pire ennemi d’Yorick fut lui-même. M. James doit avoir dit quelque chose en faveur de son bon cœur.