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peut déjà conclure des faits mêmes que nous connaissons que dans toute race il peut y avoir tel individu capable de s’élever au niveau moyen de l’espèce humaine. Toute race contient donc en puissance ce niveau moyen. Or c’est là, ce me semble, un caractère distinctif qui sépare l’espèce humaine de toute autre, car jamais, dans aucune famille de singes, on ne trouvera d’individu s’élevant au-dessus d’une imitation grossière et mécanique des actes humains.

Je reviens maintenant à ma première question : le singe étant si inférieur à l’homme par l’intelligence, comment lui est-il si semblable par l’organisation ? M. Vogt s’étonne que certains naturalistes, ne considérant que les différences corporelles, trouvent à peine de quoi faire du genre humain une famille distincte, tandis qu’à considérer les différences morales et intellectuelles ils en feraient volontiers un règne à part ; mais c’est précisément cette antinomie qui doit étonner et faire réfléchir tous ceux qui n’ont pas de parti-pris, et n’ont pas pour leur propre système cette foi aveugle qu’ils reprochent aux autres. M. Ch. Vogt nous dit avec ce ton de mépris bien peu digne d’un savant : « La gent philosophe, qui n’a vu de singes que dans les ménageries et les jardins zoologiques, monte sur ses grands chevaux, et en appelle à l’esprit, à l’âme, à la conscience et à la raison ! » Sans monter sur nos grands chevaux, nous dirons à M. Vogt : La race nègre a donné un correspondant à l’Institut ; connaissez-vous beaucoup de singes dont on puisse en dire autant ?

Je suis d’avis que l’on ne doit pas mêler les questions morales et sociales aux questions zoologiques ; je voudrais cependant que l’histoire naturelle ne montrât pas une trop grande indifférence, et que par sa prétendue impartialité elle ne blessât pas trop l’humanité. Je n’aime pas entendre un naturaliste dire : « Il nous sera fort égal que le démocrate des états du sud trouve dans les résultats de nos recherches la confirmation ou la condamnation de ses prétentions. » Après tout, pour être savant, on n’en est pas moins homme. Ne parlez pas de l’esclavage, si vous voulez, c’est votre droit ; mais, si vous en parlez, ne venez pas dire qu’il vous est égal qu’on se serve de vos argumens en faveur de l’iniquité ! J’ajouterai que sans vouloir mêler la morale à la science, ni juger la valeur d’une dissection anatomique par ses conséquences sociales et religieuses, il est permis cependant, en présence de certains zoologistes si pressés de rabaisser l’homme au singe et de se servir, pour le succès de leur thèse, de l’exemple du nègre, que cette thèse intéresse particulièrement, il est permis, dis-je, de demander d’où vient cette répulsion universelle que l’humanité civilisée éprouve aujourd’hui contre l’esclavage. Cette répulsion elle-même n’est-elle pas un fait ? Notre race commence à reconnaître des sœurs dans les races inférieures ; la conscience humaine franchit la question zoologique et la tranche