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très saillans paraissent, à vrai dire, autoriser l’hypothèse que Gratiolet condamne si sévèrement. On nous raconte que lorsqu’on ouvrit le crâne de Pascal, on y découvrit (ce sont les expressions mêmes des médecins) « une abondance de cervelle extraordinaire. » Malheureusement on ne pensa pas à la peser. Le premier cerveau illustre qui ait été pesé est celui de Cromwell, que l’on nous donne comme étant de 2,231 grammes, celui de Byron serait de 2,238 grammes ; mais ces deux chiffres dépassent tellement la moyenne, qui varie entre 1,300 ou 1,400 grammes[1], que M. Lélut n’hésite pas à les déclarer apocryphes. « Ce sont là, dit-il, des cerveaux fantastiques. » En réduisant le second, avec M. Wagner, à 1,807 grammes, on a encore un poids « très supérieur à la moyenne, à savoir d’au moins 400 grammes. » Le cerveau de Cuvier était également très considérable, car on le donne comme de 1,829 grammes[2]. Tels sont les faits favorables à l’hypothèse qui mesure la pensée au poids. Voici les faits contraires.

M. Wagner, célèbre anatomiste de Gœttingue, a recueilli dans un travail fort curieux toutes les pesées de cerveaux positives que la science peut fournir à l’heure qu’il est, et il a ainsi rassemblé 964 pesées parfaitement authentiques[3]. Or, sur ce tableau, où figurent un certain nombre d’hommes supérieurs ou très distingués, Cuvier et Byron sont seuls au premier rang. Gauss, l’illustre géomètre, n’est que le 33e, Dupuytren le 52e, Hermann le philologue le 92e, Haussmann le minéralogiste le 158e. D’autres sont placés plus haut ; mais il se trouve que Lejeune-Dirichlet, l’élève de Gauss, et qui n’est pas son égal pour le génie, est précisément avant lui. Enfin Fuchs le chimiste est le 32e. Il semble résulter de ces rapprochemens que la supériorité de l’esprit n’assure pas le premier rang dans l’ordre des poids cérébraux.

M. Broca discute ces différens faits avec beaucoup de sagacité et d’adresse, et il essaie de leur faire perdre une partie de leur valeur. Il fait remarquer que sur les huit hommes supérieurs de M. Wagner, il y en a cinq dont il a lui-même pesé les cerveaux, et qui étaient ses collègues à l’université de Gœttingue. « Or, nous dit M. Broca, les hommes de génie sont rares partout ; il n’est pas probable qu’il en soit mort cinq en cinq ans, rien qu’à l’université de Gœttingue. » La possession d’une chaire universitaire ne prouve pas nécessairement le génie. On peut déployer de l’intelligence d’une autre manière que dans les sciences. Les hommes qui ne

  1. 1328 selon M. Parchappo, 1424 selon Huschke.
  2. M. Lélut croit qu’il a été mal pesé. Voyez Physiologie de la pensée, t. I, note.
  3. Ce tableau à la vérité contient un très grand nombre de cerveaux malades, dont, défalcation faite, il reste seulement, suivant M. Broca, 347 cas normaux.