Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Paula, la gloire littéraire de l’un, le nom illustre de l’autre, et ce grand concours d’étrangers accourus de toutes parts pour les voir, avaient de quoi offusquer un prélat non dénué de mérite, mais que son infériorité reléguait bien loin d’eux dans l’ombre. Rufin, habile à profiter de tout, assez maître de lui-même pour sacrifier froidement sa vanité à son orgueil et son orgueil au plaisir d’écraser un rival, Rufin affectait d’approuver les rancunes de l’évêque pour l’aigrir davantage, et Mélanie, entrée aussi dans les confidences intimes du prélat, attisait le feu contre son ancien ami. Ils trouvérent mauvais qu’on fît à Bethléem tant d’étalage d’orthodoxie sur la sommation d’un agresseur obscur, envers lequel Rufin ne daignerait employer, disait-il, s’il se présentait à sa porte, que l’argument des personnages de Plaute lorsqu’un valet leur déplaît. Il y avait eu, suivant lui, de la part de Jérôme, intention évidente de les dénigrer tous. Quant à la question en elle-même, Jean de Jérusalem n’était origéniste que pour le peu que lui en avait soufflé Rufin, et il ne se souciait pas d’en apprendre davantage.

Les choses, malgré beaucoup d’aigreur secrète, en seraient peut-être restées là, lorsque apparut tout à coup dans les murs de Jérusalem la discorde théologique elle-même en la personne du vénérable évêque de Salamine, Épiphane, cet ami du bien qui traînait la guerre après lui, cet inflexible gardien de l’orthodoxie qui la compromettait souvent par ses ardeurs imprudentes et ses subtilités scolastiques. Il administrait tranquillement son diocèse de Chypre, lorsque le bruit de cette première querelle était parvenu jusqu’à lui. Humilia qu’un autre eût découvert une hérésie qu’il n’avait pas aperçue, et cela dans une église qu’il pouvait presque revendiquer comme sienne, puisqu’il était né en Palestine, qu’il y avait passé sa jeunesse, et qu’il y dirigeait encore, au moins spirituellement, un monastère, celui qu’il avait fondé jadis près d’Éleuthéropolis, sur la route d’Ælia Capitolina à Hébron, il prit le parti de s’assurer de tout par lui-même. Laisser là son diocèse de Chypre et courir à Jérusalem fut pour lui l’affaire d’un moment ; son voyage d’ailleurs n’avait aucune apparence extraordinaire, et il n’en ébruita pas le motif. À son arrivée, il descendit, comme il faisait toujours, chez l’évêque, et comme toujours il accepta sa table. Lui confia-t-il dans cette intimité le soupçon qui l’amenait ? L’interrogea-t-il sur les attaques d’Aterbius au sujet de son origénisme prétendu ? chercha-t-il à sonder sa foi, à l’éclairer, lui si savant et si rigide en matière de dogme ? Jean dit que non, Épiphane affirma le contraire devant témoins, en particulier devant Jérôme et les moines de Bethléem. Quoi qu’il en soit, une explication eut lieu le lendemain, en présence de toute la ville, dans la basilique de Constantin.

La première scène se passa à la chapelle du Saint-Sépulcre. Les