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bien des confusions semblables. Certes, si un événement devait toucher Marie-Antoinette, c’était la disgrâce du duc de Choiseul, le négociateur de son mariage, l’homme de l’alliance autrichienne : ouvrez cependant la collection d’Arneth, il n’y a qu’une lettre de Marie-Thérèse ; de la jeune dauphine, rien. Les autres publications au contraire contiennent une lettre de Marie-Antoinette sur la disgrâce de Choiseul. Cette lettre serait-elle réputée fausse uniquement parce qu’elle ne se sera point trouvée à Vienne, ou parce qu’il y a une erreur de date dans la collection de M. d’Hunolstein ?

Il y a du reste un fait à remarquer, c’est que dans la collection de M. d’Arneth elle-même il y a d’évidentes lacunes, que Marie-Antoinette écrivait cependant beaucoup, et qu’il faut bien que tout ce qu’elle écrivait se soit rencontré quelque part. On a mis en avant, il est vrai, comme un sérieux motif de soupçon, une différence sensible de ton et d’esprit entre les lettres publiées à Vienne et les lettres publiées à Paris. D’abord qu’y aurait-il d’étonnant que Marie-Antoinette, qui craignait un peu sa mère, qui avait pour elle une sorte de culte, mît dans ses rapports avec l’impératrice une certaine réserve, qu’elle prît le ton de celle à laquelle elle écrivait, qu’elle se fît en ces momens-là un peu plus allemande ? Mais en outre la différence est-elle réellement aussi sensible qu’on le dit ? C’est là justement ce qui ne me frappe pas du tout. Ce sont les mêmes habitudes de penser et de sentir, les mêmes tours d’esprit, les mêmes impressions sur les choses et sur les hommes, et quand on compare toutes ces lettres, quelquefois rapprochées de dates, on trouve en fin de compte qu’il n’y a entre elles aucune discordance, qu’elles se suivent même assez bien, qu’elles sont écrites sous les mêmes préoccupations, et font allusion aux mêmes circonstances intimes. Où donc est la raison de considérer les unes comme parfaitement authentiques, les autres comme une œuvre de spécieux mystificateurs qui n’ont eu qu’à puiser dans les mémoires de Mme Campan ou de Weber ? Si c’est parce que lettres et mémoires parlent des mêmes choses, on oublie en vérité que Mme Campan était femme de chambre de la reine, initiée à son intimité, en position de tout savoir, peut-être de lire ses lettres, et qu’elle a fort bien pu s’en souvenir, d’autant mieux qu’elle tenait note de tout. A se lancer dans cette voie d’ailleurs, on peut aller loin, et le livre même de M. d’Arneth courrait des risques. Vous souvenez-vous par exemple de cette petite aventure où Marie-Antoinette rabroue si vivement M. de La Vauguyon, le précepteur du dauphin, qui a la prétention de se mêler un peu trop des affaires intimes du jeune couple ? Vous avez pu lire cette histoire dans tous les récits du temps. Or l’honorable directeur des archives de Vienne a recueilli une lettre où la dauphine elle-même raconte cette scène. On pourra donc dire aussi, d’après ce système, que cette lettre est faite avec les mémoires du temps, puisqu’elle raconte les mêmes choses presque dans les mêmes termes. Voilà où l’on peut arriver ! Au fond, je le crains bien, il n’y a dans tout cela, si l’on me passe le mot, qu’une véritable querelle d’Allemand. La pauvre reine n’eut jamais de chance : autre-