Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/530

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de grands noms et de scènes nouvelles, se porta tout entière à leur rencontre ; Jérôme, Paula, Eustochium, accoururent aussi de Bethléem, et au bout de peu de jours Fabiola était installée au monastère de Paula, Oceanus à celui de Jérôme.

J’ai dit quelques mots de Fabiola, dans le premier de ces récits[1], à propos des nobles matrones qui composaient la communauté de l’Aventin, et, sans rabaisser sa piété, je l’ai classée parmi les plus élégantes et les plus mondaines. Sa jeunesse, en effet, avait été traversée par de grandes passions, suivies de grandes méprises. Presque au sortir de l’enfance, un amour insensé l’avait jetée dans les bras d’un mari indigne d’elle, d’un homme infâme qui l’avait déshonorée, opprimée, trahie à la face de Rome. Les dames romaines possédaient contre de pareilles infortunes un remède dont elles savaient user, le divorce : Fabiola divorça ; mais une nouvelle passion la dominait alors, aussi impérieuse que l’ancienne. Elle se précipita dans un autre mariage, un bandeau sur les yeux, et son second mari ne valut pas même le premier. Elle eut alors un remords de conscience, et elle se demanda si, chrétienne qu’elle était, elle se trouvait réellement mariée à cet homme. Les élans religieux ressemblaient un peu chez elle à la fougue des affections terrestres : tout entière au moment présent, Fabiola embrassait avec une égale ardeur ce qui satisfaisait son penchant et ce que réclamait son repentir. Elle avait donc quitté son second mari, mais sans invoquer le divorce. Que venait-elle faire à Bethléem ? Elle avait un autre motif que celui de visiter le tombeau du Sauveur en suivant la mode qui poussait les grandes dames romaines en Palestine, ou plutôt elle en avait deux. Elle voulait essayer d’abord si la solitude, la vie régulière, les pratiques de l’ascétisme sérieusement exercées, n’apaiseraient pas le bouillonnement incessant de son âme et le sentiment de son malheur. Elle voulait aussi être éclairée sur une certaine chose, prendre discrètement l’avis de Jérôme sur un parti auquel elle avait songé plus d’une fois ; mais, en digne fille de Fabius Cunctator, elle pensa qu’il fallait faire sa première expérience avant de consulter sur la seconde et de révéler tout le fond de son âme au directeur qu’elle venait chercher. Le cas de conscience qui l’intéressait au point de passer les mers pour le résoudre se trouvait exposé dans une lettre écrite de Rome par un prêtre nommé Amandus, qui semblait consulter sur sa propre sœur, et Fabiola était dépositaire de cette lettre. On verra plus tard ce qu’elle en fit.

Le calme profond de l’antique patrie de David, les émotions de

  1. Revue du 1er septembre 1864.