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une foule pressée de gens en guenilles, se dirigeant vers le quartier du Vatican et la basilique de Saint-Pierre. Vagabonds, mendians, indigens honnêtes, tous ces déshérités de la fortune qui vivent au jour le jour, et qu’un écrivain chrétien de ce temps appelle si bien « les pensionnaires de la Providence divine, » arrivèrent de tous les points de Rome, et bientôt la basilique et ses environs furent encombrés. Des tables avaient été dressées dans les nefs, dans l’abside, sous les portiques, partout où se trouvait un espace vide, et une armée de serviteurs, presque aussi nombreux que les conviés, les plaçaient en bon ordre à leur arrivée. Lorsqu’ils. Etaient rassasiés, on les congédiait pour qu’ils fissent place à d’autres. Le repas dura probablement toute la journée, et, grâce à l’agilité qui distinguait à Rome les distributeurs publics de denrées, tous les convives purent y avoir part. Avant de se séparer, Pammachius remit lui-même à chacun d’eux un vêtement neuf et une large aumône.

Le premier argent qui passa dans cette largesse funèbre fut celui des bijoux, des robes de soie brochées d’or, voiles de lin, ceintures de pierreries, objets de toilette de toute sorte, fards blancs, rouges ou noirs, dont s’était servie Pauline. Tout l’instrument de Satan, si Satan eut jamais rien de commun avec une si chaste, et si modeste matrone, avait été vendu à vil prix pour cette destination. « Quel changement ! écrivait Jérôme émerveillé : ces pierreries, ces perles qui étincelaient naguère sur la tête et le col de Pauline calment aujourd’hui la faim du pauvre ! Les tissus de soie, l’or battu et tréfilé, se transforment en bonne laine chaude qui couvre la nudité du corps sans alimenter la coquetterie. Cet aveugle qui demande l’aumône et crie souvent où il n’y a personne, c’est l’héritier de Pauline, le cohéritier de Pammachius. La main d’une tendre, jeune femme soutient ce mendiant mutilé, qui rampe à ses pieds sur le sol… Oh ! Pammachius est bien ambitieux ! Il pose sa candidature au ciel en briguant le suffrage des pauvres, et sa robe blanche est fabriquée de leurs haillons. Il y a des maris qui soulagent leur douleur en répandant sur le tombeau de leurs femmes la violette et la rose, la fleur de pourpre et le lis ; Pammachius arrose cette sainte poussière du baume de la charité. » Paulin, sénateur comme Pammachius, voulut tirer du spectacle étalé sous les yeux des Romains une leçon politique pour l’avenir. « O Rome, écrivait-il, si tous tes sénateurs avaient de tels divertissemens, si on ne te donnait pas d’autres spectacles, tu pourrais conjurer les malheurs dont te menace l’Apocalypse ! »

La première fois que Pammachius parut avec la robe monacale parmi ses collègues du sénat, ceux-ci éclatèrent de rire ; « mais, nous dit un contemporain, c’était le moine qui se moquait d’eux. »