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dites à tout propos et avec l’autorité d’une voyante, ne furent pas sans effet sur l’esprit de la jeune Mélanie et de son mari. Ils vendirent leurs biens malgré l’opposition de Publicola, leur père ; l’aïeule l’emporta. C’est ce qui s’appelait, dans le langage des mystiques destructeurs de la famille, livrer combat aux bêtes farouches du siècle. Toutefois la jeune épouse ne céda pas sans résistance ; elle demandait grâce pour une maison de1 campagne qu’elle aimait (peut-être celle où elle avait passé ses premières années, peut-être celle où elle avait connu son mari) ; l’aïeule fut inflexible, il fallut tout vendre. Alors elle les entraîna à sa suite en Sicile, où Rufin vint les rejoindre, puis en Afrique.

Publicola, resté à Rome, y mourut peu de temps après. Mélanie supporta cette perte avec une constance plus que virile. « Elle retint son affliction dans le silence, nous dit Paulin, quoiqu’elle ne pût refuser quelques larmes aux entrailles maternelles. » Augustin, qui la vit en cet état, loue beaucoup son calme courage, et, dans une lettre à ce même Paulin, il la propose comme exemple aux personnes du monde, pour bien gouverner leur douleur. « Mélanie, écrit-il, avait ressenti d’abord l’émotion du sang et de la nature ; mais elle ne fut plus touchée bientôt que d’un regret spirituel. Les larmes qu’elle versa eurent moins pour cause la perte d’un fils unique disparu de ce monde (accident tout humain) que la promptitude de cette mort, qui l’avait surpris encore enveloppé dans les liens du siècle. Ce qui affligeait cette pieuse mère, ce qui excitait ses lamentations, c’est que Dieu n’avait pas attendu pour prendre son fils que ce fils, obéissant aux désirs maternels, eût jeté bas la toge du magistrat pour le cilice du moine et préféré la solitude du cloître aux splendeurs du sénat. » Ainsi raisonnaient dans cette période d’abandon de soi-même et de son pays les plus grands saints de l’église, et l’orgueilleuse Mélanie croyait se grandir en refoulant dans son âme tous les instincts de la nature, les plus amers comme les plus doux.

Elle se trouva, par la mort de son fils, complètement maîtresse du sort de sa petite-fille et de Pinianus. Déjà elle avait obtenu une grande victoire : c’est que les deux époux fissent vœu de continence, sans rompre cependant la vie commune ; elle échoua pour le reste, et les efforts de ses intolérans auxiliaires échouèrent aussi. Pinianus et sa femme eurent bien des assauts à soutenir contre ce fanatisme du temps qui ne voulait laisser dans le cœur des hommes aucune affection humaine, même la plus légitime, même la plus sainte. Le mari soutint presque un siège contre les habitans d’Hippone, qui s’étaient mis en tête de le faire prêtre malgré lui, et la femme dut implorer avec larmes la protection d’Augustin et le pardon de son amour. L’aïeule, voyant que, malgré tous leurs mérites