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mêmes, parce que dans la nature tout se tient et que rien ne saurait être vu isolément et systématiquement, mais c’est un résultat de la tendance de notre esprit, à la fois faible et dominateur, qui nous porte à absorber les autres connaissances dans une systématisation personnelle. Une science qui s’arrêterait dans un système resterait stationnaire et s’isolerait, car la systématisation est un véritable enkystement scientifique, et toute partie enkystée dans un organisme cesse de participer à la vie générale de cet organisme. Les systèmes tendent donc à asservir l’esprit humain, et la seule utilité que l’on puisse, suivant moi, leur trouver, c’est de susciter des combats qui les détruisent en agitant et en excitant la vitalité de la science. En effet, il faut chercher à briser les entraves des systèmes philosophiques et scientifiques, comme on briserait les chaînes d’un esclavage intellectuel. La vérité, si on peut la trouver, est de tous les systèmes, et pour la découvrir l’expérimentateur a besoin de se mouvoir librement de tous les côtés sans se sentir arrêté par les barrières d’un système quelconque. La philosophie et la science ne doivent donc point être systématiques, elles doivent être unies et s’entr’aider sans vouloir se dominer l’une l’autre.

Mais si, au lieu de se contenter de cette union fraternelle pour la recherche de la vérité, la philosophie voulait entrer dans le ménage de la science et lui imposer dogmatiquement des méthodes et des procédés d’investigation, l’accord ne pourrait certainement plus exister. Pour faire des observations, des expériences ou des découvertes scientifiques, les méthodes et procédés philosophiques sont trop généraux et restent impuissans ; il n’y a pour cela que des méthodes et des procédés scientifiques souvent très spéciaux qui ne peuvent être connus que des expérimentateurs, des savans ou des philosophes qui pratiquent une science déterminée. Les connaissances humaines sont tellement enchevêtrées et solidaires les unes des autres dans leur évolution, qu’il est impossible de croire qu’une influence individuelle puisse suffire à les faire avancer lorsque les élémens du progrès ne sont pas dans le sol scientifique lui-même. C’est pourquoi, tout en reconnaissant la supériorité des grands hommes, je pense néanmoins que, dans l’influence particulière ou générale qu’ils ont sur les sciences, ils sont toujours et nécessairement plus ou moins fonction de leur temps. Il en est de même des philosophes : ils ne peuvent que suivre la marche de l’esprit humain, et ils ne contribuent à son avancement qu’en attirant les esprits vers la voie du progrès, que beaucoup n’apercevraient peut-être pas ; mais ils sont encore en cela l’expression de leur temps. Ce serait donc une illusion que de prétendre absorber les découvertes particulières d’une science au profit d’une méthode