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victoire chaque matin. Trois fois Petersburg fut pris par la renommée ; trois fois on apprit que cette place, « si misérablement défendue, » tenait bon contre toute l’armée. On s’en consolait en disant que Petersburg était la clé de Richmond. Cependant le général Sherman se laissait battre dans l’ouest ; le lendemain venait la revanche obligée. Grant aussi « changeait de base ». avec de grandes pertes. Était-ce victoire ou défaite ? C’était un « mouvement, » disait la dépêche, mot de mauvais augure dans les rapports officiels. N’importe, la confiance publique n’était pas ébranlée. Le 4 juillet, jour anniversaire de l’indépendance, on avait distribué aux soldats plusieurs millions de pommes de terre, navets et oignons, et « les garçons avaient eu une joyeuse journée. » L’attention s’était détournée de la guerre, et les variations de l’or absorbaient de nouveau tous les esprits, quand soudain la bombe éclate. Les rebelles ont franchi le Potomac, tourné la capitale ; le président appelle aux armes les milices des états de New-York et de Pensylvanie. Que croire ? Il y a ici comme ailleurs des spéculateurs haut placés qui tiennent le sac aux nouvelles. Le bruit est nié, la proclamation du président démentie ; l’invasion n’est qu’une ruse de guerre ; les confédérés, qui étaient vingt mille il y a une heure, sont à présent quelques centaines, une troupe de pillards qui prendra peur, à la première vue du drapeau fédéral. New-York, un instant troublé, se rassure.

Le lendemain, c’était bien pis : Baltimore menacée, Baltimore, la ville sudiste, qui peut-être ne résistera pas. Stupéfaction, puis incrédulité nouvelle. — Les rebelles coupent les chemins de fer. Ils n’oseront détruire celui de Washington… Ils l’ont détruit, la capitale est bloquée ; ils ont battu le général Wallace, ils sont maintenant quarante mille hommes. Ils ont franchi le Potomac sans qu’on se doutât de leur approche ; ils dévastent le Maryland sans résistance. Les villes effrayées se replient sur elles-mêmes. Washington, Baltimore, regorgent de familles fugitives ; Philadelphie elle-même a tremblé. Nul n’espère plus de salut que dans l’arrivée du général Tyler, détaché de l’armée de Grant au premier bruit de l’expédition.

Ici tout est calme. L’étranger qui débarque ne se doute pas de la gravité des événemens. On attend les nouvelles avec impatience, mais sans tumulte ; l’intérêt personnel poursuit son règne tranquille, On s’aborde, on se raconte les bruits incertains ; puis chacun s’en retourne à son bureau ou à sa boutique, Ces grands coups de théâtre n’excitent plus ni alarme ni chagrin ; on en a tant vu qu’on y est accoutumé.

Ce n’est pas que les Américains manquent de patriotisme ; ils