Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/916

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

verain de la France était très circonvenu par les principaux personnages qui, de l’autre côté du détroit, avaient leur voix dans les affaires publiques, whigs aussi bien que tories, — car ces derniers se croyaient alors sur le point de succéder au cabinet Palmerston-Russell, fortement ébranlé, et avaient un grand intérêt à sonder avant tout le terrain à Paris. Lord Malmesbury, MM. Fitzgerald et Disraeli y firent tour à tour une courte descente : on affirma même dans le temps que M. Disraeli jugea opportun d’introduire la haute politique jusque dans un bal masqué de la cour, et que c’est en costume de domino qu’il entretint un auguste personnage des espérances et des vues du parti conservateur en passe de rentrer au pouvoir. A ces adversaires comme aux amis de l’administration Palmerston, on tint à Paris invariablement le même et clair langage : c’est que la participation active de la France au différend dano-allemand entraînerait de toute nécessité une grande guerre, qu’à la grande guerre devrait par conséquent répondre un grand but, un résultat proportionné aux sacrifices, — et on laissait à l’Angleterre la liberté d’opter dans ce cas entre une restauration plus ou moins complète de la Pologne, ou l’affranchissement de la Vénétie, ou la promesse du Rhin… Certes on pourrait trouver que c’était là donner trop de choses à choisir, faire preuve aussi d’un éclectisme quelque peu pyrrhonien ; la mention du Rhin surtout fut un excès de franchise que les ministres britanniques ne manquèrent pas de dénoncer discrètement, doucement, et du haut de la tribune. Toutefois cette alternative même du Rhin était trop clairement indiquée par la situation et la nature même des choses pour qu’elle ait pu être passée sous silence sans éveiller des soupçons encore plus forts. Il y avait de la loyauté et de la prévoyance à poser le problème sous toutes ses faces et d’une manière aussi explicite que possible ; — seulement il y avait aussi quelque naïveté à croire (si tant est qu’on le croyait !) que l’Angleterre pût jamais consentir à une entreprise décisive quelconque contre l’Allemagne.

Les relations naturelles, les rapports nécessaires, comme dirait Montesquieu, entre la Grande-Bretagne et les principaux états sont aussi simples que constans. Avant toute chose, l’Angleterre redoute, jalouse et surveille la France ; elle s’inquiète aussi par momens des progrès de la Russie dans l’Orient, sans que cette disposition lui suggère toutefois jamais le désir de voir l’influence du tsar diminuer en Europe ; quant à l’Allemagne, les hommes d’état britanniques y voient la barrière précieuse, providentielle, qui empêche un contact immédiat entre la France et la Russie ; ils y voient de plus leur grand point d’appui pour toute action sur le continent, le grenier d’abondance, l’officina gentium où l’Angleterre a de tout temps