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les dernières assises de l’Europe, au congrès de Paris, avait même eu de la peine à se faire une petite place dans le conseil des empires, un état de second ordre au fond, et qu’on ne nomme « grande puissance » que par politesse, à peu près comme on donne le titre de seigneurie à certains membres de la chambre des communes, lords by courtesy. Comme dans toute anarchie aussi, les grandeurs véritables, les positions acquises, les influences légitimes, s’effaçaient subitement devant l’audace révolutionnaire, reniant leurs principes, renonçant à leurs traditions, agissant même contre leur propre intérêt. L’Autriche faisait une guerre de nationalité et conquérait deux provinces pour le compte des Hohenzollern ; la Russie s’employait complaisamment pour procurer à l’Allemagne le principal port de la Baltique, et l’Angleterre laissait tranquillement passer à la portée de son canon, devant Helgoland, une flottille partie de Trieste pour aider à la prise de l’île d’Alsen ! Enfin il n’est pas jusqu’à la France qui n’eût, et de propos délibéré, gâté une position excellente et inattaquable par ce besoin d’agiter et d’agioter qui devient une dangereuse tentation même pour les esprits supérieurs à certaines époques tristement marquées par le désordre moral.

Rien de plus facile, de plus honorable que l’attitude que pouvait prendre la France dans ce drame traversé de tant d’audaces et de défaillances. Tout en pratiquant l’abstention la plus absolue, elle n’avait qu’à maintenir théoriquement le droit, à le professer hautement et sans ambages. Elle devait cette déclaration à la justice, à la vérité, à la signature qu’elle avait jadis apposée au traité de Londres, enfin au souvenir de la fidélité constante dont le Danemark avait donné les preuves au premier empire, et que le captif de Sainte-Hélène rappelait encore avec reconnaissance quelques jours avant sa mort. En agissant ainsi, la France serait restée à l’abri de toute critique, et elle n’aurait fait qu’ajouter à la confusion de l’Angleterre… Professer la justice sans se charger de l’exécuter immédiatement envers et contre tous, nommer un chat un chat et M. de Bismark un violateur de la foi publique sans le terrasser à l’instant, renoncer à jouer en toute chose le rôle de la divine Providence, s’en remettre même humblement à elle du soin de venger les injures et les crimes, mais reconnaître franchement, fermement, qu’il y avait là en effet des injures et des crimes, — notre époque décidément n’a ni la simplicité ni la modestie voulues pour une résolution pareille ! On s’y arrêta aussi peu dans les affaires danoises que dans les affaires polonaises, et on aima même mieux cette fois laisser mettre en questionne droit que son propre prestige. On eut donc subitement des doutes sur le droit de