Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 58.djvu/943

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

port avec ce sujet, elle a découvert qu’un article 5 d’un traité signé entre la Prusse et le Danemark le 24 mai 1715 garantissait à cette dernière puissance la possession du Slesvig… » Quel thème pour l’école des chartes ! Au fond, il n’y avait rien de sérieux dans cette archéologie diplomatique : aucune des grandes puissances ne songeait à secourir le Danemark, et le comte Russell, dans sa réponse au gouvernement de Copenhague du 19 février ; déclarait ne pouvoir faire de « nouvelles démarches » sans en être d’abord convenu avec la France et la Russie ! Quant à « la garantie de 1720, » le noble lord pensait que, « l’Autriche et la Prusse ayant fait la déclaration solennelle qu’elles n’avaient pas l’intention de troubler (disturb) l’intégrité du Danemark, il n’était pas nécessaire pour le moment d’examiner la question en principe, c’est-à-dire la validité de la garantie en elle-même… » Le principal secrétaire d’état n’avait qu’un seul souci, celui de faire cesser les hostilités. La Prusse ayant rejeté la proposition d’armistice ; il finit par s’accrocher avec désespoir à cette pensée des conférences que les deux gouvernemens germaniques, ainsi qu’on l’a vu plus haut, voulaient bien admettre, tout en continuant de « donner quelque extension aux opérations militaires » dans le Jutland.

Une grave question se présentait ici tout d’abord. Sur quelles bases allait se réunir la conférence projetée ? « Sur les bases du traité de Londres, répondait naturellement le cabinet de Copenhague, sur le principe de l’intégrité de la monarchie danoise ! » La demande était d’autant plus justifiée que les deux puissances germaniques elles-mêmes, d’après l’affirmation toute récente de lord John, n’entendaient point « troubler » cette intégrité… Il est vrai que dès le mois de décembre M. de Bismark avait hasardé un singulier aphorisme : c’est que la guerre annulait tout traité, et cet aphorisme était depuis devenu le thème favori de la diplomatie tudesque, mais les ministres anglais n’avaient cessé de protester avec énergie contre une pareille doctrine : lord Palmerston la qualifiait d’insensée encore le 8 février et en plein parlement. « Si jamais une telle théorie s’établissait, déclarait à cette occasion le noble vicomte, une grande puissance ayant conclu un traité avec une puissance faible n’aurait, pour se débarrasser de ses engagement, qu’à faire une attaque injustifiable, sans provocation, et à dire ensuite : « La guerre a éclaté, et la guerre met fin aux traités ! » C’est là une doctrine qu’aucun gouvernement qui se respecte lui-même ou qui respecte les principes de la bonne foi ne défendra sérieusement[1]. » Eh bien ! MM. de Bismark et de Rech-

  1. L’Allemagne arguait en 1864 de la guerre pour s’affranchir de toutes ses obligations européennes à l’égard du Danemark, comme la Russie se prévalait depuis longtemps de l’insurrection de 1830 pour se prétendre déliée de ses engagemens de Vienne concernant la Pologne. A cela il y avait à répondre et il fut répondu en effet que l’insurrection de 1830 ou la guerre de 1864 dégageait tout au plus soit la Russie, soit l’Allemagne, de leurs obligations directes envers la Pologne ou envers le Danemark, mais qu’elle ne les affranchissait nullement des stipulations faites avec l’Europe par rapport à l’un ou à l’autre de ces pays. L’argumentation est irréfutable ; seulement, pour lui laisser toute sa force, il ne fallait pas déclarer soudain que les traités de 1815 « avaient cessé d’exister, » ou que l’arrangement de 1852 était « une œuvre impuissante… »