Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 59.djvu/1021

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jacobins de leur école se sont trouvés en général aussi nus, aussi misérables qu’auparavant. Ce n’est point aux robespierristes qu’ont été aboutir les biens nationaux ; c’est à leurs ennemis, dantonistes ou thermidoriens. Robespierre et Saint-Just, dans les temps qui suivent, jusqu’en thermidor, perdent de plus en plus terre sous leurs pieds ; ils reposent sur un nuage sanglant. Vers la fin, il ne leur reste plus que leur morale, qu’ils sont forcés de raffiner jusqu’à la rendre impossible. La plupart de leurs adversaires sont morts guillotinés. Et qu’importe aux deux chefs jacobins ? Qu’y ont-ils gagné ? Ils n’ont su ou pu assurer, par une loi agraire, la puissance avec la terre à leurs amis, soit que la hardiesse des grands chefs plébéiens leur ait manqué, soit plutôt, comme je le pense, que l’idée du partage des terres répugne profondément à notre race. Cette idée n’a jamais pu former chez nous une base de parti, mais seulement un spectre qui apparaît de loin en loin pour notre ruine. Il s’en est suivi que cette proie des biens nationaux a passé au-dessus des robespierristes pour enrichir leurs ennemis de toutes les nuances. Ainsi ce sont les plus hardis, les plus aventureux dans la révolution qui en ont le moins profité. Ils ont fait la terreur, ils en sont responsables, elle pèse sur eux ; d’autres en ont reçu le salaire. Robespierre avait « peur de l’argent pour lui ; » il en eut peur aussi pour le peuple. Lui distribuer gratuitement des terres ! Il eût appelé cela corrompre.

On n’a jamais vu une démocratie faire invasion sur les biens et la fortune des classes supérieures avec de telles maximes ; cela me fait penser qu’il y avait une contradiction absolue au fond de l’esprit de Robespierre. Pour faire passer en un moment les biens des riches dans les mains des pauvres, il aurait eu besoin d’une morale relâchée ; au contraire, il avait la sévérité terrible des maximes qui en tout temps ont conservé les vieilles aristocraties terriennes. Presque toujours les partisans des lois agraires innovent dans la morale ; lui au contraire se retranchait dans l’ancienne. En un mot, il n’avait pas la morale de sa politique ni la politique de sa morale ; elles se détruisaient et s’annihilaient l’une l’autre.

Aussi essayez de déduire des discours de Robespierre un système arrêté sur une nouvelle distribution des richesses ; vous n’y réussirez pas, à moins de substituer vos systèmes aux siens. Voilà pourquoi la terreur en ses mains finit sitôt par étonner et lasser ses partisans les plus aveugles. Ils ne savaient vers quel but ce chemin conduisait ; ils trouvaient « qu’il y avait trop de supplices dans ses préliminaires[1]. » Cette avenue d’échafauds ne menait qu’au désert.

  1. Mémoires inédits de Baudot.