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combien de siècles de siècles ont travaillé pour lui ? Se dira-t-il qu’il a besoin de temps infinis pour avancer d’un pas, qu’il a fallu des immensités d’années pour s’élever de la hache de pierre à la hache de bronze, qu’il lui en faut au moins autant aujourd’hui pour s’élever d’un degré vers la justice ? Ou bien pensera-t-il qu’après tant d’ébauches, de tâtonnemens infinis, il est temps d’être homme et de l’être tout à fait ? Sans rien savoir sur ce point de ce que nous savons aujourd’hui, la révolution française a voulu achever l’homme d’un seul coup, en un moment. C’est là sa gloire.

En se soumettant à la foule, la convention avait perdu le respect ; elle le regagna par la crainte, surtout par ses travaux. Elle combat, elle délibère, elle menace, elle médite, elle frappe au même moment. C’est elle qui tient la truelle et l’épée. Toute au présent, elle est aussi toute à l’avenir qu’elle fonde, elle est même dans le passé qu’elle extermine. Rien dans aucune histoire ne donne l’idée de cette omniscience et de cette omniprésence ; l’âme entière d’une nation fourmille de vie dans la fournaise. Les événemens y viennent retentir comme sur une enclume, mêlés aux motions, aux projets de lois, aux décrets de chaque heure ; atelier gigantesque où tout se forge à la fois, les armées, les codes, la terreur, les écoles, la science, les idées, les actions, la guerre, et, qui le croirait ? même la paix. Les incidens se succèdent avec le pêle-mêle de la nature déchaînée. Danton préside. Au froncement de sourcil de ce Jupiter, l’uniformité des poids et mesures est proclamée. Le 15 août, Cambon apporte le grand-livre « pour inscrire et consolider la dette publique. » Monument de sagesse, d’économie, de probité, qui survivra à tout ! — Surviennent des lettres de Saint-Just et de Lebas à Robespierre. Écoutez ! « Les aristocrates ont été guillotinés, à commencer par les banquiers du roi de Prusse. » Lettres de Fouché et de Collot-d’Herbois ; ils parlent de Lyon. « L’explosion de la mine sera seule capable de renverser assez tôt l’infâme cité, son nom lui sera enlevé. » Maintenant à d’autres soins : un opéra sur la révolution du 10 août sera décrété. Voici Chénier qui, au nom du comité, lit le projet de substituer Marat à Mirabeau dans le Panthéon : accepté sans délibérer. Danton propose un plan de nouveaux jeux olympiques ; on y donnera l’instruction publique, « le pain de la raison. » Place à Merlin de Douai ! Il fait son rapport sur la loi des suspects, les ordonnances de Louis XIV pour les dragonnades servent de modèle : admis sans discussion. N’oubliez pas le dessèchement des étangs, rien de plus urgent que de délivrer le peuple de la fièvre des marais. — Mais silence ! Robespierre est à la tribune ; il lit la réponse de la convention « aux rois ligués contre la république. » Cette réponse est digne et fière, elle est dans le cœur de