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glaive suspendu sur toutes les têtes avant de frapper. Quand il a fini, nul n’ose l’interroger. Chacun se demande en secret : De qui veut-il parler ? Quel est le coupable aujourd’hui ? Ai-je mérité sa haine ? Est-ce moi ? Il regardait du côté de Danton tout à l’heure ; mais qui oserait s’en prendre à Danton ? Il est donc vrai qu’il y a des traîtres autour de moi ! Et si l’on rencontre Saint-Just, on essaie de sourire à l’exterminateur, car, même parmi les héros, il a su faire pénétrer la peur. Celui-là même qui tout à l’heure racontait la victoire de Geisberg écrira de Saint-Just quarante ans après : « Son souvenir me fait encore frissonner. »

De ce moment, l’épouvante que l’on inspirait aux autres, on commence à la ressentir soi-même. On tutoie le génie de la mort. Depuis nivôse, les listes funèbres s’entassent dans le Moniteur immédiatement au-dessus de l’affiche des spectacles. La parole de Saint-Just a glacé. Cette ardeur de civilisation qui se mêlait à tout s’arrête. C’est comme un grand fleuve qui gèle en une nuit. Pendant trois mois, il ne reste plus que l’officiel de la terreur. Le silence s’est fait sur tous les bancs, plaine, montagne, marais. Vous entendriez le ronflement des Euménides.

Ainsi, dans la convention, chacun à son tour sort de son horizon ordinaire, de son tempérament, de sa spécialité. Un seul homme ne sort jamais de la sienne, un seul ne se prodigue pas en fonctions diverses. Pendant que les autres parcourent incessamment la circonférence, il se concentre de plus en plus. Il n’a qu’une fonction, toujours la même, le soupçon, l’accusation ; les autres s’agitent autour de la ruche bourdonnante ; ils vont, ils viennent, ils s’écartent. Robespierre seul est immobile. Toujours au même poste, immuable dans l’agitation universelle, il est l’œil fixe de 1793 qui veille sur la terreur même. Cela est pour beaucoup dans la fascination qu’il exerce.

Où s’est-il vu jamais une assemblée d’hommes ainsi présens partout, occupés de tout, de ce qui est loin et de ce qui est près, de l’ensemble et du détail, de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, d’armées et de médailles antiques, de peuples et de bibliothèques, d’échafauds et de vases étrusques ? Ubiquité, universalité, c’est le nom de la convention.

Avec tant d’audaces, pourquoi n’aurait-elle pas osé fonder une ère nouvelle ? Elle l’osa. Fabre d’Églantine apporte à la fin de 1793 le nouveau calendrier ; Romme le commente. Les Français avaient tant besoin d’oublier leur passé ! Ils cherchèrent à oublier jusqu’aux noms antiques des jours, des mois, des saisons ; ils crurent un moment être arrachés à leurs gothiques fondemens. Jamais dans le monde moderne nation ne fit effort plus grand pour effacer