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se faire voir, on place volontiers la lutte sur les questions de finance et d’industrie. La presse russe offre à ce point de vue un intéressant spectacle. Quant à nous, nous aimerions à voir l’esprit politique libéral se développer en Russie, puisque, sur les questions extérieures qui nous séparent, il a été impossible de rien obtenir des passions nationales de ce grand empire. La diplomatie russe, quand elle s’applique à des questions qui ne nous émeuvent point douloureusement comme la question polonaise, nous intéresse assurément beaucoup. Conduite par un homme d’esprit, le prince Gortchakof, elle a toujours la même persévérance habile, la même hardiesse, et nous fait d’ailleurs l’honneur de parler un joli français. Eh bien ! quand même le prince Gortchakof en personne voudrait nous réciter le conte des mille et une nuits que la politique russe exécute en Asie et nous conduire en imagination à Samarcande, lors même que ce fin ministre daignerait nous déployer en confidence quelques-uns de ses projets occidentaux et nous entretenir des douces violences qu’il fait à M. de Bismark pour amener la Prusse à accepter la rive gauche de la Vistule, un nouveau morceau de la Pologne dont l’aliénation consommerait le démembrement de cet infortuné pays, à ces communications piquantes nous préférerions encore des manifestations de la presse russe qui nous montreraient les aspirations de ce peuple à gouverner lui-même ses propres affaires. Il faut bien qu’il y ait en Russie des aspirations semblables, puisque la presse de Pétersbourg s’échauffe sur les questions économiques, et semble chercher un terrain d’opposition sur l’institution de la banque foncière dont nous avons récemment annoncé la création. Cette banque est une grande conception qui peut être utile de plusieurs façons à la Russie. Elle est destinée à convertir la dette hypothécaire de l’empire, à influer sur la consolidation de la dette publique, à mobiliser les ressources du vaste et riche domaine de l’état et à relever le crédit national. L’opposition russe ne semble point sensible à ces avantages ; on dirait qu’elle n’attend le bien que de l’excès du mal, qu’elle rêve une de ces crises financières d’où sont nées presque partout les gouvernement représentatifs, et qui obligent l’absolutisme à capituler devant la liberté. On croirait que tel est le sens de la polémique passionnée qui s’est engagée à propos de la banque foncière. La presse libérale poursuit un but légitime et a tous nos applaudissemens lorsqu’elle voudrait voir son gouvernement devenir parlementaire et la gestion des finances publiques contrôlée par une représentation nationale ; mais elle fait fausse route quand elle combat l’institution de la banque foncière comme un établissement qui mettra le pouvoir hors de page, et lui permettra d’ajourner les concessions libérales en l’affranchissant de ses embarras financiers. Certes elle apporte dans cette lutte une chaleur que l’on n’oserait guère montrer à Paris contre un projet gouvernemental, et en ce sens elle nous fournit une preuve encourageante des progrès que la liberté d’écrire a faits en Russie. Malheureusement l’excès