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son église. Si mêlée que soit la race, elle tient aux anciens souvenirs. A côté du prêtre, qui est le chef véritable, il y a le chef titulaire de la tribu : c’est un métis écossais du nom de Cameron.

Au fond du lac Saint-Louis, nous trouvons de nouveaux rapides près du joli village de Carillon. On y voit l’Indien natif et sombre, le métis jaune et cuivré, le Français brun et agile, l’Écossais de grande taille, aux cheveux rouges, et des femmes blanches, élégantes, en fraîches toilettes de printemps, qui saluent abord leurs parens ou leurs amis. Carillon est un lieu de relâche pour les grands radeaux qui viennent du nord. On les divise pour les lancer dans les rapides, puis on rassemble dans le lac Saint-Louis leurs membres dispersés. Nous débarquons : un chemin de fer rustique nous conduit à Grenville, au bord du lac des Deux-Montagnes, où notre navigation recommencé. Ici le paysage devient plus austère, la végétation plus sombre et plus rude. L’eau est noire. Les sapins septentrionaux se pressent sur les collines, et leurs cimes aiguës hérissent au loin l’horizon. C’est le nord avec sa grandeur sévère, mais égayée par un soleil d’été. Il y a un grand et singulier charme dans ces vastes étendues liquides, dans ces longues lignes de forêts, dans la douce tristesse répandue sur ces espaces inhabités. Çà et là une volée d’oiseaux aquatiques dont les cris perçans troublent le silence, sur la plage de vertes prairies où paissent de grands troupeaux, mais pas un homme, pas une cabane, à peine de temps en temps une petite trouée d’un arpent faite dans la forêt, deux ou trois huttes, une jetée grossière de pilotis et de souches entassées, puis de nouveau la solitude. En revanche, l’eau est aussi peuplée que la terre est déserte. Souvent le sifflement de la vapeur émeut les rivages ; des bateaux remorqueurs passent lourdement, traînant à leur suite de longues files de radeaux immenses, sortes d’îles flottantes où des colonies entières de bûcherons et de bateliers ont élevé leurs cabanes. Quelquefois un canot indien glisse comme un tronc d’arbre abandonné, ou bien, dans un lieu retiré, montant du sein de la forêt, une mince fumée bleue annonce la présence de l’homme à demi sauvage, Indien, bûcheron ou berger. Tout cela n’est pas comparable à nos magnificences des Alpes, peut-être à certaines de nos riches vallées ; mais un Européen, nouveau dans ces solitudes, y éprouve une impression de recueillement indéfinissable. Je comprends le goût de M. Papineau, qui a choisi pour s’y bâtir une maison de campagne l’endroit le plus sauvage et le plus inhabité.

Ce désert est moins isolé que bien des villes de province. Deux fois le jour, le bateau à vapeur y apporte le mouvement et la vie. On voit alors surgir du fond des forêts des passagers bien mis, des misses élégantes, venues on ne sait d’où. Enfin, dans un défilé, on