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des signes certains qu’on approchait des cryptes où reposent des morts illustres. Celles-là ont été plus visitées que les autres. A l’époque du triomphe de l’église, on a construit des escaliers particuliers pour en rendre l’accès plus facile aux pèlerins. L’existence de ces escaliers est un premier indice. Ensuite viennent les restes des travaux considérables entrepris du temps de Constantin pour honorer les martyrs, ces revêtemens de marbre dont on a couvert les murs, ces longs puits qui donnent de l’air et du jour à la crypte, ces voûtes de brique destinées à prévenir les éboulemens[1]. Tous ces travaux indiquent qu’on se trouve dans quelque crypte célèbre : on ne s’est donné tant de mal que pour les morts qui en valaient la peine. Un des signes les plus sûrs et les plus curieux de la visite des pèlerins et par conséquent du voisinage d’une tombe plus révérée que les autres, ce sont les inscriptions qu’ils ont laissées sur les murs. Personne ne les avait encore recueillies et étudiées avec autant de soin que M. de Rossi. Tracés rapidement à la pointe le long des escaliers ou des galeries, ces graffiti, comme on les appelle en Italie, sont le témoignage spontané d’un mouvement d’enthousiasme et de dévotion à la vue des saints tombeaux. Il n’y entre rien d’officiel et de convenu, comme dans les grandes inscriptions qui ont été gravées sur le marbre ; les graffiti sont moins pompeux et moins magnifiques, mais on y sent bien mieux l’élan du cœur. Aussi nous touchent-ils davantage, quelque insignifians qu’ils paraissent au premier abord. Tantôt le pèlerin écrit simplement son nom en demandant avec humilité quelques prières pour lui et en faisant des souhaits pieux pour les autres : Eustathius humilis peccator ; tu qui legis, ora pro me, et habeas Dominum proiectorem, tantôt il implore les saints pour lui ou pour les personnes qu’il aime : « Saints martyrs, souvenez-vous de Dionysius. — Demandez que Verecundus et les siens aient une heureuse navigation. — Obtenez le repos pour mon père et pour mes frères. » Le plus souvent il se contente d’employer cette courte formule : « Vivez ou qu’il vive en Dieu ! » A l’entrée de la crypte de Lucine, au pied de l’escalier, on trouve ces mots plusieurs fois répétés : « Sofronie, vis en Dieu ! Sofronia, vivas ! » Sans doute après avoir écrit ces paroles, le voyageur a pénétré dans la crypte, il s’est agenouillé, il a prié au pied du tombeau des martyrs, et il est probable

  1. Il ne faut pas oublier non plus les inscriptions que le pape Damase avait fait graver auprès des tombeaux des plus illustres martyrs, n’avait réparé les catacombes au IVe siècle, composé des vers en l’honneur des saints qui y sont enterrés, et imaginé, pour écrire ces vers, des lettres d’une forme particulière qu’un calligraphe habile de ce temps avait inventées. La présence des lettres damasiennes dans une crypte prouve qu’elle a contenu le corps de quelque personnage important.