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nous donne tout créés[1]. Depuis, on avait obtenu, par l’union de deux principes organiques, un composé organique plus compliqué, et exécuté ainsi des synthèses partielles. Avant même que les résultats fussent arrivés au point où les amenèrent les chimistes que j’ai nommés et plusieurs autres, tels que notre regrettable Auguste Laurent ; Charles Gerhardt, enlevé comme lui prématurément à la science, M. Cahours, les Anglais Graham, Williamson, A.-W. Hofmann, l’Allemand Strecker et bien d’autres, on put se flatter que la synthèse parviendrait à transformer des substances inorganiques en substances organiques, et que les derniers vestiges du mur de séparation élevé entre les deux chimies disparaîtrait. La réalisation de cette espérance ne se fit pas longtemps attendre.


II

C’est en 1829 que fut fabriquée pour la première fois de toutes pièces une matière d’origine exclusivement organique. Cette découverte appartient à un chimiste allemand, M. Wöhler, dont le nom a surtout retenti parmi nous à propos de l’extraction de l’aluminium, où il a eu pour digne émule M. Henri Sainte-Claire-Deville. Au siècle dernier, Rouelle le jeune avait retiré de l’urine de l’homme et des animaux une substance incolore, inodore, d’une saveur fraîche, légèrement amère et ressemblant à du salpêtre, qu’on appela urée. Dans ces derniers temps, l’urée a été retrouvée dans le sang, puis dans le chyle et dans la lymphe[2]. En traitant par l’ammoniaque, gaz formé d’azote et d’hydrogène, l’acide cyanique dont le radical, le cyanogène, est un composé binaire (carbone et azote) se comportant dans la nature absolument comme un corps simple, M. Wöhler donna naissance à l’urée.

Ce fait capital, suivi un peu plus tard de la production par voie artificielle d’autres matières organiques, telles que la transformation de l’acide cyanhydrique en acide formique, due à M. Pelouze, la création de l’acide acétique au moyen du sulfure de carbone par M. Kolbe, ne fut point assez remarqué, sans doute parce que ces réactions n’étaient pas déduites d’une méthode plus générale, parce qu’on n’avait pas saisi le lien qui les rattache aux carbures et aux alcools. On ne vit là d’abord que des phénomènes exceptionnels, et d’éminens chimistes, comme Berzélius et Ch. Gerhardt, continuèrent à penser que dans la nature vivante les élémens obéis-

  1. Dès 1821, Döbereiner avait obtenu de l’acide formique par l’oxydation de l’acide tartrique.
  2. MM. Liebig et Würtz pensent que l’urée prend naissance dans l’intimité des tissus partout où des matériaux devenus impropres à la vie ont besoin d’être emportés par la combustion respiratoire.