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pressives et l’état de siège, les coups de fusil, les baisses de fonds publics. — C’était là en définitive la vraie question du moment que le ministère avait à résoudre, cette question délicate et décisive de savoir s’il avait la volonté et le pouvoir d’en finir avec tous ces expédiens de la force, avec tous ces fantômes de réaction, pour réaliser en toute sincérité les conditions d’un gouvernement libéral, — si ce ne serait qu’une lune de miel éphémère, ou si c’était le commencement d’une ère nouvelle. Tout le monde y était intéressé, la reine, le parti modéré, le général Narvaez, les adversaires eux-mêmes du gouvernement, qui ne résisteraient certes pas longtemps à la tentation d’accepter des mains d’anciens antagonistes une liberté qu’ils n’avaient pas su se donner, ou qu’ils avaient compromise quand ils étaient aux affaires.

Si le ministère avait eu la clairvoyance virile d’un pouvoir maître de lui et embrassant fortement une situation, il aurait vu que ces doutes ironiques de ses adversaires, qui n’étaient que des craintes déguisées, lui signalaient justement la voie qu’il devait suivre, que puisque de simples promesses avaient suffi pour produire un véritable allégement, sa persistance dans une politique libérale lui assurerait vraisemblablement un ascendant devant lequel toutes les dissidences seraient bien obligées de plier. Il aurait vu qu’à tenter l’entreprise il ne mourrait jamais plus misérablement que ses prédécesseurs, qui n’avaient rien fait, et que dans tous les cas, dût-il succomber pour le moment, il élevait le drapeau de la seule politique possible, il laissait son parti animé d’un esprit nouveau, il se ménageait à lui-même, il ménageait à l’opinion modérée un rôle décisif dans un avenir prochain. Le ministère du 16 septembre ne vit ni cela ni bien d’autres choses, et par une inconséquence étrange, au moment où on le croyait sur le chemin du libéralisme, il s’arrêtait brusquement, sur place pour ainsi dire, comme un corps d’armée en marche qui entend le feu de l’ennemi. Où était donc l’ennemi ? Il n’était sérieusement nulle part. Or rien n’est plus dangereux pour un gouvernement que de chercher partout l’ennemi quand l’ennemi n’existe pas. En se défiant, on fait croire qu’il existe, et en affectant de croire à son existence, on le crée quelquefois.

Le premier symptôme de cette évolution fut une circulaire du 28 octobre sur l’instruction publique. S’il ne s’était agi que de réprimer les écarts de quelques professeurs, de maintenir une limite entre la politique et l’enseignement, c’était assez simple et sans grave conséquence ; mais la circulaire du 28 octobre avait évidemment une portée plus générale, plus menaçante, qui eût été bien plus sensible encore, si elle fût restée telle qu’elle était primitive-