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nement n’a pas précisément le caractère qu’il prétend lui-même s’attribuer ; il a le caractère que lui donnent les faits, les choses, même les mouvemens des partis, qui, dans leur travail incessant, se rallient à lui ou s’en détachent.

Un fait bien simple éclairait cette situation singulière : c’était justement cette évolution universelle des partis et des opinions à mesure que la politique ministérielle se déroulait ou se dégageait. La transformation était complète. Au commencement, le ministère trouvait son appui le plus chaud et le plus efficace parmi les esprits libéraux, surtout dans ce jeune groupe du parti modéré où comptent M. Albareda, M. Valera, et dont M. Gonzalez Bravo avait été longtemps un des guides tant qu’il ne s’agissait que de tenir la campagne contre l’union libérale et O’Donnell. Dès le début de la session, le général Narvaez, pressé par les modérés purs, désavouait nettement les jeunes libéraux, et les rejetait dans une réserve qui allait se changer en opposition. Au contraire, le général Pezuela, dont les opinions monarchiques touchent à l’absolutisme, et qui avait refusé dans les premiers temps une des grandes directions de l’armée, finissait par accepter, tout comme son frère, le marquis de Viluma, qui a les mêmes opinions, avait été appelé à remplacer le duc de Rivas à la présidence du conseil d’état. M. Nocedal et les néo-catholiques avaient commencé par une grande méfiance, si ce n’est pas de l’hostilité, à l’égard du cabinet, et peu après ils lui prêtaient leur compromettant appui. Pour eux, ils n’avaient sûrement pas changé. Il en était de même du comte de San-Luis, qui d’une attitude expectante était passé à une alliance presque intime, et qui à la fin avait reçu comme gage de son appui sa nomination à l’ambassade de Londres, tenue provisoirement secrète.

Comment s’était donc opéré ce déplacement singulier ? Que s’était-il passé ? Bien des choses sans doute. Je n’en veux citer qu’une seule, parce qu’elle touche à une question qui depuis longtemps est le grand champ de bataille des partis. Le ministère avait fini par se décider, au mois de février 1865, à présenter une nouvelle loi sur la presse, qui, bien avant d’être connue, avait été la cause de la retraite de M. Llorente, une loi qui, sous le prétexte libéral de soumettre les journaux au droit commun, rétablissait en fait la censure avec une complication de plus. Le projet créait un délit d’une espèce nouvelle, — comment dirai-je ? — le délit déjoué, empêché, delito frustrado, en d’autres termes le délit non commis, non connu du public, constaté et arrêté au passage par l’autorité chargée de recevoir le dépôt, comme si en affaires de presse la publicité n’était pas l’élément constitutif du délit. On n’avait pas imaginé jusqu’ici, je crois, de chercher un délit dans un article qui n’a pas vu le jour, connu seulement de celui qui l’a écrit. Ce n’est