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fut trouvé presque au même moment par deux hommes sous l’empire de circonstances particulières. Andrew Bell l’inaugura dans l’asile de Madras par défiance de la routine, et Joseph Lancaster dans ses écoles par économie[1]. Ce dernier faisait alors tant de bruit et avait obtenu de tels succès par sa méthode que George III témoigna le désir de le recevoir. L’entrevue eut lieu, en 1805 à Weymouth. « Lancaster, s’écria le roi, j’entends dire que dans vos écoles un professeur enseigne à la fois cinq cents élèves. Comment peut-il les tenir en ordre ? — De même que votre armée, sire, est mise tout entière en mouvement par un mot de celui qui la commande, » répliqua le quaker. George III ajouta : « J’approuve fort votre système, et mon vœu est que tout pauvre enfant de mon royaume apprenne du moins à lire la Bible. » Le roi lui remit sur-le-champ 100 livres sterling, la reine 50, et chacune des princesses 25, pour qu’il put propager selon ses vues les bienfaits de l’éducation. L’exemple de la cour ouvrit la source des libéralités personnelles, et l’argent affluait de toutes parts entre les mains de Lancaster : ce fut sa perte. Exalté, enthousiaste, dévoré du zèle de son œuvre, il oublia les conseils de la prudence, dépassa de beaucoup, dans le maintien de ses enfans, la limite de ses ressources, et s’endetta. Quelques amis vinrent à son secours et le tirèrent quelquefois d’embarras ; mais sa prodigalité envers les autres était incorrigible, et il retombait toujours dans les mêmes difficultés d’argent. Sa correspondance nous le représente alors tour à tour abattu ou triomphant, passant d’un accès de mélancolie à un excès d’espoir. L’esprit livré à toute sorte de visions, il contemplait « les chevaux de feu qui lui apportaient des montagnes dans des chars de feu toutes les richesses de la terre » pour préserver son système d’une ruine irréparable. Malheureusement on ne paie point ses dettes avec l’or de l’Apocalypse, et le prophète tomba plus d’une fois aux mains des recors. Ses amis les quakers, hommes d’ordre et de commerce, qui mettent une sorte de religion dans la tenue des livres, finirent par l’abandonner après avoir condamné ses extravagances. En 1808, sa banqueroute fut déclarée : il partit alors pour l’Amérique, où il passa de nouveau par toute sorte d’épreuves. Il songeait à revenir en Angleterre, lorsque le 23 octobre 1838 il fut écrasé par une voiture dans les rues de New-York, à l’âge de cinquante et un ans.

Ces deux hommes ont donné naissance à deux sociétés dont le but est l’instruction de la jeunesse, mais dont les tendances sont fortement opposées. Le docteur Bell se rattache par son influence à

  1. Tous deux se disputèrent plus tard l’honneur d’une découverte qui a été depuis longtemps ou abandonnée ou fort modifiée en Angleterre.