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donné les élémens montre avec la clarté de l’évidence que les lettres de Marie-Antoinette à sa mère et à ses sœurs contenues dans les deux recueils français (excepté celle du 14 juin, 1777, donnée par M. d’Arneth et par M. Feuillet de Conches) ne peuvent être employées comme documens historiques. Voici, dans le résumé le plus concis, les principales preuves.

Nulle correspondance ne présente une plus parfaite identité de manière et de ton littéraire ou moral que celle du recueil allemand. On en peut dire autant des lettres de Marie-Antoinette à sa mère et à ses sœurs que donnent les deux publications françaises. C’est une seule et même main qui a écrit la série de Vienne ; c’est à une seule et même plume, ou du moins à un seul et même système qu’on doit la double série publiée à Paris. Cependant pour quiconque fera l’une des deux lectures en regard ou à peu de distance de l’autre, il ressortira qu’il n’y a entre les deux ensembles nul rapport réel et constant, nulle parité de ton littéraire ou moral, nul point de repère commun, nulle concordance, bien que toutes ces lettres, celles de Vienne et celles de Paris, attribuées à la même personne, soient datées des mêmes années. — Les lettres publiées à Paris ne nous apprennent aucun fait nouveau : vous reconnaissez les anecdotes dont se composent les mémoires de Soulavie et de Mme Campan. Si cependant vous lisez le volume publié à Vienne, vous êtes transporté tout à coup au milieu d’un monde de faits que vous ignoriez naguère. — Quant à la forme, les lettres publiées à Paris offrent volontiers des anecdotes ou des récits. En général, chacune traite d’un sujet particulier : il y en a une sur la vie à Compiègne, une sur le mariage du comte de Provence, une sur une prise de voile à Saint-Cyr, une sur Mme Elisabeth. Les récits amènent des portraits avec des plaisanteries, du bel esprit et des mots heureux. Voici la comtesse d’Artois, « toute petite de taille, avenante de figure et fraîche comme une rose, avec un nez qui n’en finit pas. » Le comte d’Artois, « toujours monté en gaîté et qui a un mot sur tout, est léger comme un page et s’inquiète peu de la grammaire ni de quoi que ce soit. » Monsieur est « un homme qui se livre peu et se tient dans sa cravate ;… il glisse sur ses pointes. » Dans la publication de M. d’Arneth au contraire, Marie-Antoinette procède toujours par courts paragraphes répondant à chacun des articles, touchés par sa mère : point de développemens en général, point de récits, très peu d’anecdotes, surtout point de portraits ni de badinage ; c’est qu’apparemment