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dans un splendide tournoi qui dure trois journées. — C’était ainsi, nous le disions, qu’on plaisait à Gustave III, et que tant de jeunes seigneurs suédois commençaient gaîment auprès de lui des carrières, destinées pour plusieurs d’entre, eux, à devenir sanglantes.

Axel Fersen, déjà signalé par l’éclatant renom de sa famille, s’était, partout fait accueillir par ses propres qualités. Dès son premier voyage en France, à la date du 29 mai 1774, Creutz, l’ambassadeur de Suède à Paris, lui rend ce premier témoignage :


« Le jeune comte de Fersen vient de partir pour Londres. De tous les Suédois qui ont été ici de mon temps, c’est celui qui a été le plus accueilli dans le grand monde. Il a été extrêmement bien traité de la famille royale. Il n’est pas possible d’avoir une conduite plus sage, et plus décence que celle qu’il a tenue. Avec la plus belle figure et de l’esprit, il ne pouvait manquer de réussir dans la société : aussi l’a-t-il fait complètement. Votre majesté en sera sûrement contente ; mais ce qui rendra surtout M. de Fersen digne de ses bontés, c’est qu’il pense avec une noblesse et une élévation singulières. »


Cet éloge que Fersen méritait déjà à vingt ans à peine (il était né le 4 septembre 1755), nous l’allons voir s’en montrer plus que jamais digne dans une circonstance délicate de sa vie. De retour en France sa faveur à la cour devint extrême et ne tarda pas à être fort remarquée. C’était en 1779, et l’on sait que les soupçons malveillans contre Marie-Antoinette n’attendirent pas la fatale affaire du collier pour l’atteindre comme souveraine et comme femme. Fersen était accueilli dans les cercles intimes de la reine ; le même accueil fait à Stedingk passa pour n’être qu’une feinte qui devait dissimuler la présence, particulièrement désirée, de son ami ; on accusa les petites fêtes données pour la reine par Mmes de Lamballe et de Polignac dans leurs appartemens, et où Fersen était admis ; on parla de rencontre, et d’entretiens prolongés pendant les bals de l’Opéra, de regards échangés à défaut d’entretiens pendant les soirées intimes de Trianon ; on avait vu la reine, assurait-on, chantant au piano les couplets passionnés de l’opéra de Didon

Ah ! que je fus bien inspirée
Quand je vous reçus dans ma cour !


chercher des yeux Fersen et mal dissimuler son trouble. Il n’en avait pas fallu davantage pour faire ajouter publiquement le nom du jeune comte à ceux dont la calomnie croyait dès lors pouvoir s’armer contre Marie-Antoinette. ― Voici quelles furent, dans la situation difficile qui lui était faite, l’attitude et la résolution du jeune officier suédois ; nous en pouvons le récit dans une dépêche secrète adressée à Gustave III par le comte de Creutz :